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La Commission Charbonneau ou la corruption déconstruite

17 juin 2013


Au terme d’une année presque complète d’audiences, il serait opportun de prendre le temps de revoir ce que nous avons appris jusqu’à maintenant dans le télé-drame du canal Charbonneau.

Prologue

Bien que les audiences aient commencé l’an dernier, au son des casseroles du printemps érable, les révélations concernant les liens douteux entre la construction, la mafia et le financement des partis politiques ont commencé à faire les unes de manière régulière en 2009 grâce au journalisme d’enquête de Radio-Canada (Enquête), de La Presse, du Devoir et de la défunte Rue Frontenac.

La première à exiger une commission d’enquête publique a été l’adéquiste Sylvie Roy en avril 2009. Le Parti libéral en était à son troisième mandat, et Jean Charest n’avait absolument aucune intention de céder. Pendant deux ans, il a systématiquement refusé de lancer une commission publique, préférant plutôt la création d’escouades policières. Il a commencé par Marteau en octobre 2009, puis a ajouté l’Unité anticollusion (UAC) du ministère des Transports le février suivant et a finalement créé l’Unité permanente anticorruption (UPAC) une année plus tard pour chapeauter les deux autres et coordonner le travail de toutes les enquêtes (non publiques).

Acte I: Duchesneau

La commission a finalement été mise en place en 2012. Quand Jacques Duchesneau, l’ex-chef de l’UAC, a parlé de 70% d’argent sale en politique provinciale, on trouvait le montant trop énorme. C’était juste trop scandaleux: ce devait être une exagération!

Son premier coup de théâtre avait été de couler aux médias son rapport lorsqu’il était à la tête de l’UAC parce qu’il avait peur qu’autrement il ne soit jamais rendu public. Duchesneau a répété ses conclusions à la commission et y a ajouté l’incroyable 70%, sous serment. Avec les révélations de ce printemps, les chroniqueurs ont commencé à dire que ce n’était peut-être pas si exagéré.

Rappelons que c’est tout juste après avoir été le premier témoin vedette de la commission, en juin 2012, que Duchesneau s’est présenté pour la Coalition Avenir Québec (CAQ) aux élections du mois d’août dernier. C’est probablement le député le plus en vue du nouveau parti de droite.

Acte II: Zambito

Jean Charest avait choisi de tenir les élections l’été pour qu’elles soient terminées avant que les audiences de la commission ne reprennent à l’automne 2012. Bien que Charest ait perdu son pari quant à sa réélection, il est devenu clair qu’il n’avait pas le choix une fois terminée la discussion introductive des différentes factions et modus operandi de la mafia italienne.

Le témoignage de Lino Zambito a éclaboussé fonctionnaires et ingénieurs, l’ex-président du comité exécutif de la ville de Montréal et des ex-ministres libéraux. L’entrepreneur en construction s’était joint au cartel des égouts, dirigé par la mafia. Il a expliqué comment certains fonctionnaires facilitaient la collusion en partageant de l’information privilégiée sur les contrats à venir et en approuvant des faux extras, le tout contre de l’argent comptant et d’autres formes de cadeaux.

Au cours de l’automne, un grand nombre de fonctionnaires sont venus témoigner. À les écouter, il est devenu clair que le milieu de la construction brassait des affaires de la même façon dans le secteur public que dans le secteur privé. Les fonctionnaires étaient vus comme des donneurs d’ouvrage à amadouer. L’allégeance des employés municipaux envers leur réel employeur, la ville de Montréal, était vacillant, comme l’a souvent fait remarquer la juge France Charbonneau.

Zambito a aussi révélé l’existence d’un système de fausse facturation, nécessaire pour fournir de l’argent comptant aux firmes de génie-conseil. Les témoignages de ce printemps ont confirmé que les partis politiques étaient la destination finale de cet argent. De plus, les entrepreneurs en construction, pour conserver de bonnes relations avec le gouvernement provincial, étaient très attentifs aux besoins des ministres. Zambito a ainsi souligné avec délicatesse le quarantième anniversaire de la vice-première ministre de l’époque, Nathalie Normandeau, en envoyant à son bureau un bouquet de quarante roses. Mais que c’est touchant!

Acte III: Montréal

Des témoins de chaque palier hiérarchique de la ville de Montréal ont défilé devant la commission, jusqu’à l’ex-président du comité exécutif Frank Zampino et l’ex-maire Gérald Tremblay. Ils ont tout deux clamé leur innocence, dans des registres très différents, mais la vue d’ensemble qui s’est dégagée de ce chapitre montréalais place Zampino à la tête du stratagème. Il semblait impliqué de près dans la répartition des contrats à la fois pour les entrepreneurs et pour les firmes de génie-conseil.

Son sous-fifre semble avoir été Bernard Trépanier, grand argentier d’Union Montréal, le parti du maire, maintenant dissous. Dans le milieu, on l’appelait «Monsieur 3%» en référence à la redevance qu’il percevait sur les contrats attribués aux différentes entreprises. Des responsables jurent que leur parti ne recevait aucune redevance de la sorte. Plusieurs témoins ont suggéré que Trépanier mettait tout simplement l’argent dans ses propres poches.

Pour ce qui est du maire Tremblay, il ne savait probablement rien, mais il n’a pas tenté de savoir non plus. Une hypothèse plausible explique son attitude détachée par son passé de ministre au gouvernement provincial, un poste qui demande beaucoup moins d’implication dans les opérations quotidiennes que celui de maire.

Acte IV: Laval

Lorsque les rideaux se sont fermés sur Montréal, ils se sont réouvert sur Laval, la troisième ville du Québec. En tournant son regard sur le royaume de Gilles Vaillancourt, la commission a dans les faits mis fin à sa quasi-dictature en place depuis plus de deux décennies. Encore une fois, le processus d’attribution des contrats était truqué, mais cette fois, le maire avait le plein contrôle. Il a même été accusé de diriger une organisation criminelle sous un chef de gangstérisme!

De plus, l’agent officiel de Vaillancourt a témoigné du fait que presque tous les conseillers municipaux (tout le conseil municipal était sous le contrôle de Gilles Ier) avaient reçu de l’argent comptant recueilli auprès des ingénieurs pour rembourser leurs contributions politiques. La mise en lumière de ce vaste système de prête-noms a mené à la mise en tutelle de Laval puisque le successeur de Vaillancourt y avait participé, tout comme la quasi-totalité du conseil de ville actuel.

Scènes provinciales

Les contributions politiques au provincial sont revenus sur le tapis à quelques reprises. Les ingénieurs ont expliqué qu’ils ont été contactés par des collecteurs de fonds des deux principaux partis (le PLQ et le PQ). Le système des prête-noms au provincial, fort répandu et requis pour mener à bien le financement sectoriel, a été initialement documenté par Québec solidaire en mars 2010 et est maintenant sous enquête par le Directeur général des élections (DGEQ), qui croit qu’il pourrait atteindre 13 millions$.

Ce que le secteur de la construction avait à gagner en finançant les partis politiques provinciaux est demeuré nébuleux jusqu’à ce que l’organisateur politique Gilles Cloutier s’amène à la barre des témoins. Ingénieur après ingénieur avaient expliqué qu’ils finançaient les partis municipaux pour obtenir des contrats. Toutefois, quand on les questionnait au sujet de leurs contributions au palier provincial, ils renvoyaient tous à une vague notion de «juste au cas». Aucune collusion au ministère des Transports, ont-ils tous répété d’une seule et bizarrement même voix.

Cloutier a précisé la nature du réseautage offert lors des événements de financement d’un parti au pouvoir: en y participant, on obtient un accès privilégié aux ministres, qui ont le pouvoir d’accélérer et d’influer les processus bureaucratiques. Ainsi, Cloutier réussissait à attirer les ingénieurs à ses événements en leur disant qu’ils pourraient faire des pressions pour le compte de leurs clients municipaux: s’assurer qu’ils recevraient leur subvention, ou débloquer ce foutu permis environnemental. L’accès aux décideurs donnait par la suite un avantage concurrentiel aux firmes de génie-conseil rivalisant pour des contrats municipaux.

Acte V: Québec?

Ce n’est peut-être pas aussi gros que ce qu’on a vu à Montréal et à Laval, mais c’est dommageable à la fois pour le Parti libéral et pour le Parti québécois. Et ça, c’est juste ce qu’on a appris jusqu’à maintenant. En effet, les avantages liés à la participation aux événements de financement (juste un petit 5 minutes avec un ministre?) ne semblent pas valoir tout l’argent injecté dans les partis provinciaux. Et c’est sans parler du fait que les entreprises sont sollicitées par les collecteurs de fonds sans lien aucun avec ces événements.

Une enquête plus approfondie des conséquences provinciales du financement sectoriel devra attendre à l’automne prochain: les audiences de la commission font relâche pour tout l’été dans une semaine. Toutefois, les ingénieurs ont mentionné que le système de fausse facturation qui servait à fournir de l’argent comptant pour le municipal et le provincial servait également au fédéral.

Le financement illégal et le favoritisme qui s’en suit n’est donc pas un problème spécifique au Québec. Quand est-ce que le journalisme d’enquête canadien en aura suffisamment révélé pour forcer la mise en place d’une commission Charbonneau fédérale? Ou est-ce qu’on ne s’interroge pas à ce sujet ailleurs parce que c’est légal? La suite dans notre prochain billet…

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