L’obsolescence inévitable
8 août 2017
Une nouvelle est passée quelque peu inaperçue début juillet : l’adoption par le parlement européen d’initiatives s’attaquant à l’obsolescence programmée (vous savez, cette stratégie commerciale qui vise à raccourcir la durée de vie de vos biens de consommation et à rendre leur réparation pratiquement impossible afin de vous inciter à en racheter des neufs). Quelques intervenants ont bien relaté la nouvelle (ici et ici), le plus souvent pour exprimer leurs doutes sur l’existence même de ce phénomène.
Pourtant, les faits sont têtus. La durée de vie des produits qui nous entourent décline. Essayons de comprendre pourquoi et ce qui est en jeu.
Complot ou stratégie industrielle?
L’obsolescence programmée ne relève pas d’un complot ou d’une manigance. Il n’y a pas dans un bureau, quelque part au sommet d’une tour, quelques bourgeois à haut de forme décidant, entre eux, de la durée de vie des marchandises. Ceci relève de la caricature et, si l’on veut comprendre de quoi il s’agit, il est plus pertinent d’analyser quels mécanismes de marché mènent à l’implantation de l’obsolescence programmée. C’est en comprenant mieux ce qui, dans notre organisation économique, contribue à l’essor de ce type de pratique que l’on pourra alors intervenir. Voyons comment le tout s’orchestre.
Concurrence et économie de marché
Le manque de concurrence dans certaines industries peut par exemple mener les entreprises qui la composent à vendre des marchandises avec un cycle de vie plus court. Est-ce ce que l’on appelle de l’obsolescence programmée, ou n’est-ce qu’un manque de concurrence?
On nous dit souvent que concurrence et libre marché vont de pair. Pourtant, l’obsolescence programmée est l’une des conséquences directes de la liberté laissée aux entreprises. En raison de la tendance à la concentration qu’implique les règles du jeu capitaliste, les dernières décennies ont été marquées d’une baisse de la concurrence qui s’est traduite par une concentration de capital, et donc nécessairement, par la formation d’oligopoles et de grands conglomérats. Ceux-ci perdent alors l’incitatif à rendre les biens qu’ils produisent plus durables, même si la technologie est disponible. L’obsolescence constitue dans ce cas précis une réponse rationnelle à un problème de maximisation des profits. Pas surprenant alors que cette mainmise sur le marché soit corrélée avec une dégradation de la durée de vie des biens durables qu’on s’y échange. Le capital se cumule entre les mains de moins en moins d’acteurs, qui réagissent rationnellement en ne tentant d’aucune façon de rallonger la durée de vie de vos frigos!
En d’autres mots, la décision de production d’une entreprise n’est pas qu’une réponse optimale aux préférences des consommateurs, elle est le résultat d’un problème de maximisation de la somme des profits réalisables. L’obsolescence et le manque de concurrence ne sont donc pas deux questions isolées. Au contraire, elles sont très intimement reliées et, en les analysant conjointement, on peut comprendre comment les incitatifs menant aux pratiques de l’obsolescence programmée dépendent des structures de notre économie.
Surproduction
Des salaires qui augmentent à un rythme plus lent que celui de la productivité révèlent une croissance de l’offre qui ne peut être rattrapée par celle de la demande. On tend donc vers la surproduction. Le besoin d’augmenter la cadence de la consommation devient alors de plus en plus criant, non pas pour répondre aux besoins des gens, mais pour permettre aux entreprises d’écouler les biens qu’elles produisent en surplus. C’est là que le marketing entre en jeu. Même si aucune amélioration technologique n’aura été ajoutée, on commercialisera tout de même un nouveau modèle chaque année, en prenant soin de bien le différencier esthétiquement de celui de l’an dernier. L’objet qui fonctionne toujours aussi bien après une année prendra rapidement un coup de vieux à nos yeux, et l’on s’empressera de le remplacer, même s’il remplit encore toutes ses fonctions.
Donc, tout ça n’est-il que la réponse des entreprises à un désir grandissant des consommateurs pour des prix plus bas? Je n’arriverais pas à identifier le moment à partir duquel les humains se sont mis à préférer fournir moins de travail pour recevoir la même chose, mais j’aurais tendance à penser que c’est arrivé bien avant que la durée de vie des électroménagers se soit mise à diminuer. Certes, la concentration du capital laisse les salariés avec des moyens qui s’amenuisent, mais les causes de l’obsolescence programmée émanent d’un système d’une toute autre échelle.
Il faut reconnaître que ce sont les incitatifs du système économique actuel qui ont répandu l’obsolescence programmée. On peut tenter de sensibiliser les consommateurs à ce sujet, mais ce ne sera malheureusement pas suffisant pour faire bouger les choses, car le phénomène a lui-même émergé de forces qui dépassent leurs seules préférences. Il faut des mesures claires, qui permettent de réparer aisément et d’utiliser nos biens dans un horizon temporel plus grand que celui de la garantie. Aucune autre force que celle d’une intervention gouvernementale allant au-delà de la sensibilisation n’arrivera à de tels résultats.