L’innovation n’est pas magique
24 mars 2017
À écouter le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, l’innovation technologique et la recherche et le développement (R-D) sont systématiquement les voies à suivre pour soutenir ou transformer l’économie canadienne. En effet, son plus récent budget comprend 262 mentions du terme « innovation ». Mettons ce choix en contexte.
On considère sommairement que la croissance économique est stimulée par deux principaux facteurs : l’augmentation de la population et celle de la productivité. Puisqu’au Canada la croissance démographique est en très légère hausse (p. 77), le ministre Morneau veut stimuler l’innovation et la R-D en vue d’augmenter la productivité du Canada. Toutefois, c’est pas mal plus facile à dire qu’à faire.
Les crédits d’impôt ne sont pas des investissements directs
Sous le gouvernement Harper, les aides à la recherche et à l’innovation avaient tendance à favoriser les gros joueurs sans produire de résultats concrets sur la stimulation économique. En effet, comme l’a constaté l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le financement de la R-D a produit de faibles résultats au Canada au cours des dernières années (p. 24-25). Pourquoi?
Le gouvernement fédéral peut favoriser la recherche dans le secteur privé à l’aide d’investissements ciblés. Toutefois, le fer de lance de sa stratégie est plutôt, hier comme aujourd’hui, les crédits d’impôt. En 2014, le gouvernement canadien avait accordé 3,1 milliards de dollars en crédits d’impôt en R-D, qui s’additionnent aux crédits d’impôt provinciaux en R-D. Dans certaines provinces comme le Québec, les entreprises peuvent faire diminuer leurs coûts de R-D de 37 % (p. 6).
Cette politique gouvernementale de stimulation de la R-D est peu accessible aux petites entreprises : elles n’ont pas nécessairement l’expertise ou les capitaux nécessaires pour utiliser ces crédits d’impôt. À l’inverse, ils permettent de diminuer les coûts des grandes entreprises, qui ont les moyens de trouver l’expertise requise. Ainsi, en 2011 (dernières années disponibles), seulement 1,7 % des PME québécoises se sont prévalues des crédits d’impôt en R-D alors que 10 % (p. 57) des grandes entreprises de la province les ont utilisés.
Le problème, c’est qu’en général la grande entreprise n’utilise pas les crédits d’impôt pour développer de nouvelles stratégies ou pour diversifier ou transformer ses pratiques. Au contraire, elles utilisent les crédits d’impôt pour favoriser le financement de projets qu’elles auraient développés de toute manière. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est
Paul O’Neill (p. 26), l’ancien vice-président exécutif chez ALCOA et secrétaire du Trésor des États-Unis sous George W. Bush : « Je n’ai jamais investi en fonction du régime d’imposition […] Si vous donnez de l’argent, je vais le prendre. Si vous voulez me donner un incitatif pour quelque chose que je vais faire de toute façon, je vais le prendre, mais les gens d’affaires qui sont efficaces ne font pas les choses à cause des incitatifs » (traduction libre).
L’avantage, donc, des stratégies qui s’appuient sur les crédits d’impôt est qu’elles ne déplaisent à personne. Le gouvernement Harper n’a pas eu à cibler des secteurs plus que d’autres : il a saupoudré des crédits d’impôt un peu partout.
Est-ce que c’est le cas dans le plus récent budget de monsieur Morneau? Chose certaine, il n’énonce aucune stratégie de développement économique claire.
Stratégie de développement économique
Le budget fédéral ressemble plus à un document de relations publiques qu’à un budget : il est rempli d’énoncés de bons principes. Bien sûr, l’on peut certes applaudir les investissements de 5,2 milliards de dollars sur cinq ans pour favoriser la connaissance de la main d’œuvre. Néanmoins, ils ne constituent pas en soi une stratégie de développement économique ciblée.
Le ton du budget laisse supposer que le ministre Morneau souhaite diriger l’économie canadienne vers une avancée dans les secteurs numériques et de l’intelligence artificielle. En effet, la plus grosse annonce sur le développement est liée à la mise en place de « supergrappes » en innovation grâce à des subventions de 950 millons de dollars sur cinq ans. Le ministre Morneau souhaite les voir concurrencer les Silicon Valley de ce monde.
Sinon, en termes de financement de R-D, c’est pas mal « business as usual » : les mesures ciblées qu’il présente semblent de faible importance par rapport à la quantité de crédits d’impôt déployés en R-D.
Si le gouvernement veut vraiment encourager la mise en place de secteurs innovants, que ce soit l’énergie verte, le transport en commun, le numérique ou l’intelligence artificielle, il doit le faire avec un plan clair qui s’éloigne de la politique actuelle qui consiste à saupoudrer des investissements un peu partout et à miser sur les crédits d’impôt. En effet, les secteurs innovants nécessitent l’arrivée de nouveaux joueurs, qui manquent souvent de capitaux pour tirer profit de crédits d’impôt. Les grandes entreprises qui en profitent se concentrent quant à elles sur l’amélioration de la productivité dans les secteurs dans lesquels elles œuvrent déjà.
Cependant, une stratégie ciblée implique ne pas plaire à tout le monde, ce qui ne semble pas faire partie de l’image de marque de Trudeau pour le moment.