L’art de détruire la culture
26 octobre 2015
Il existe un consensus entourant l’importance que revêt la culture pour une société. Par contre, la délimitation que nous nous faisons de la culture, elle, est loin de faire consensus. Loin de moi l’idée d’entamer, voire d’instiguer un débat sur la définition de la culture, et encore moins de « la culture québécoise ». Il me semble indéniable que l’une des expressions culturelles des plus communes s’incarne dans la pratique artistique, dans l’art au sens large. Mais réfléchissons-nous vraiment à la place que prend la pratique artistique dans nos sociétés contemporaines?
Puisque l’art, tant sa pratique que sa diffusion, est partie prenante de notre culture, il est difficile d’imaginer une société sans art. Pour en avoir une idée, il faut justement se tourner vers la culture. La dystopie, une forme narrative née en littérature et reprise au cinéma, présente une image sombre du futur. Ray Bradbury, avec Fahrenheit 451, démontre l’importance de la culture pour qu’une société demeure critique. Dans cette dystopie, tous les immeubles sont ignifugés, et les pompiers, plutôt que d’éteindre les feux, les allument, et ce, pour détruire tous les livres qui offrent trop l’occasion aux citoyens et citoyennes d’être critiques du gouvernement autoritaire. Dans ce roman, les livres sont au centre de la chasse aux sorcières, mais peut-on imaginer une société sans théâtre, sans danse, sans peinture, sans sculpture, sans cinéma…? Ne serait-ce qu’une seule journée?
Et si ce qui dirige et détruit la culture aujourd’hui ne serait pas un gouvernement autoritaire, mais une vision purement mercantile et capitaliste de l’art et de la culture? Nous parlons beaucoup plus de production ou encore d’industrie culturelle que de pratique artistique ou culturelle. De plus en plus, la priorité donnée à l’art est sa rentabilité économique plutôt que sa viabilité et son rayonnement. Et ceci est sans compter les effets de l’austérité que subit le milieu culturel au Québec. C’est deux tendances, la culture comme marchandise et la baisse de financement en culture, ont et auront des effets négatifs et pervers sur la culture et les personnes qui la pratiquent. Dans deux autres billets, j’avais exposé les conditions de travail des artistes et des artisan-e-s de l’audiovisuel ainsi que les problèmes de financement et de mécénat. Louis Hamelin se posait la question presqu’uchronique : quel aurait été l’héritage culturel si des auteurs comme de Maupassant, Balzac ou Dostoïevski n’avaient pas eu de contrainte monétaire à l’écriture? Est-ce que la nécessité d’avoir un autre emploi que celui de notre pratique ou encore le fait de produire selon les dictats du marché nuit à la créativité?
On se retrouve avec beaucoup de questions et peu de réponses. C’est pour tenter de répondre à ces questions et à beaucoup d’autres qu’il y avait le 20 octobre une journée sans culture. Il est vrai qu’une journée est bien insuffisante pour nous faire prendre conscience de l’importance de la culture dans notre société et de la situation particulière des gens qui la pratiquent. Mais faut-il vraiment attendre de voir si Bradbury avait raison? Ne laissons pas la tendance pyromane du capitalisme et de l’austérité annihiler notre culture et notre esprit critique commun que représente la pratique artistique sous toutes ses formes.