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Nous dirigeons-nous vers la fin de la pauvreté?

13 novembre 2013


Au printemps dernier, le réputé magazine The Economist faisait sa « une » avec une affirmation saisissante : nous serions mondialement en voie de mettre fin à la pauvreté. De 1990 à 2010, près d’un milliard de personnes seraient passées au-dessus du salaire de 1,25$ par jour. Ce montant est reconnu comme le seuil de l’extrême pauvreté.

Comment aurions-nous collectivement réussi cette réduction de la pauvreté? D’abord, par la croissance des économies en voie de développement, en particulier la Chine et ensuite, par les mesures qui réduisent les inégalités. Pour The Economist, la solution à la pauvreté est donc simple : laissons faire le marché, réduisons l’intervention de l’État et signons des accords de libre-échange. Bref, continuons comme nous l’avons fait, ça nous a si bien servi jusqu’à maintenant.

Pourtant, une étude sur la pauvreté des enfants en Grande-Bretagne nous apprend que plus de 20% d’entre eux seront au-dessous du seuil de pauvreté en 2020 (ils sont en ce moment autour de 17%). Voilà qui vient poser une pierre dans le jardin du célèbre magazine britannique. Surtout que selon les auteurs de cette étude, ce sont les récentes politiques fiscales qui favorisent justement le libre-marché et le laissez-faire qui seront responsables de cette hausse de la pauvreté.

Laissons de côté cette étude précise et attaquons-nous à la proposition principale de The Economist : aurions-nous trouvé la potion magique qui résoudra tous nos problèmes? Il s’agirait de laisser aller l’économie de marché et bientôt, fini la pauvreté. Malheureusement, la solution n’est pas si simple.

D’abord, on choisit bien les données qui nous plaisent. Quand on regarde les gens qui font moins de 2$ par jour, l’évolution est beaucoup moins réjouissante, comme nous le rappelle la Banque mondiale. Il y a eu une réduction, en effet, mais bien plus mince : nous sommes passés de 2,59 milliards de personnes vivant sous ce seuil en 1981 à 2,40 milliards aujourd’hui. C’est 190 millions de personnes de moins à ce niveau de pauvreté, tant mieux, mais on semble soudainement plus loin de l’éradication qu’envisage The Economist.

Mais le problème n’est pas qu’une histoire d’où tracer la ligne. Il faudrait d’abord savoir si les gens qu’on pense faire sortir de la pauvreté lorsqu’ils font plus de 1,25$ ou 2$ par jour améliorent vraiment leurs conditions de vie.

Prenons le cas de la Chine, qui est au cœur de cette « sortie de la pauvreté ». Que se passe-t-il en ce moment en Chine? Un important exode rural. Des centaines de millions de personnes qui vivaient d’agriculture de subsistance sont poussées vers la ville : soit parce qu’on utilise leur terre pour des projets industriels, soit parce qu’elles sont attirées par le rêve d’une vie meilleure.

Que trouvent-elles là-bas? J’en ai fait une description ici. Pour faire court, imaginons Bao, un agriculteur chinois qui survivait en cultivant quelques légumes. Il a quitté son village pour aller travailler en ville à cause d’un grand projet de barrage. Il vit maintenant dans une tour de 10 étages tellement proche de la tour à logements d’en face qu’il peut serrer la main de son voisin en tendant son bras par la fenêtre. Il n’a plus accès à des services publics de base et il travaille souvent plus de 70 heures par semaine. Il gagne maintenant un salaire, maigre, mais un salaire. Selon The Economist, Bao est maintenant sorti de la pauvreté. Joie.

L’agriculture de subsistance n’a rien de réjouissant. Cependant, le quasi-esclavage salarié n’est pas nécessaire mieux seulement parce qu’on y gagne quelque maigres dollars. Ces conditions de vie, intolérables à long terme, commencent d’ailleurs à être un frein à la croissance chinoise tant célébrée par The Economist. Pourtant c’est le marché laissé à lui-même qui les rend possible.

Avant de penser que nous avons mis fin à la pauvreté, il faudrait peut-être regarder autre chose que la seule donnée des revenus. On peut faire plus de revenus et vivre moins bien. En fait, c’est le cas pour beaucoup de Chinois.e.s dont The Economist célèbre avec faste la nouvelle prospérité.

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