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Le dogme du libre-échange

15 mars 2017


Le commerce international : un sujet plutôt complexe, ou du moins d’apparence assez inaccessible. Même après l’obtention d’une maîtrise en économie et une expérience en tant qu’auxiliaire d’enseignement pour un cours traitant de ce sujet, je n’ai pas l’impression d’avoir reçu un enseignement assez nuancé pour pouvoir remettre en question les bienfaits « assurés » du libre-échange.

À quoi tient donc l’apparence de consensus parmi les économistes que le libre-échange génère nécessairement mieux-être social, croissance économique, richesse augmentée pour tous et alouette…? Cela tient sans doute au mode d’enseignement des théories économiques classiques, au peu de place qu’elles laissent aux observations empiriques. Mais surtout à un modèle d’équilibre général (qui repose lui-même sur des hypothèses des plus farfelues).

Mon très cher Ricardo

Toute personne diplômée en économie connaît la théorie des avantages comparatifs (ou du moins se rappelle du nom de David Ricardo) et aura probablement une prédisposition à croire aux qualités du libre-échange soutenues par cet économiste classique. Cela tient à une prédisposition qui pourrait être justifiée par cette théorie qui, sur papier et sous certaines conditions empiriques, peut s’avérer juste. Il faut en effet reconnaître que si deux personnes se spécialisent dans la production de biens où elles sont les plus productives pour ensuite échanger librement ces biens, la totalité de la production sera plus grande, au bénéfice des deux parties. En faisant bien sûr l’hypothèse que cette production supplémentaire génère du « bonheur », en permettant aux deux personnes d’avoir au moins un panier de consommation plus diversifié.

Cela étant dit, est-ce que l’on peut utiliser ce résultat théorique pour conclure que, comme l’écrit l’Institut économique de Montréal, dans notre monde à nous, le libre-échange est bon pour tous? Non, juste… non! Oui, le modèle de Ricardo expose bien comment une spécialisation peut contribuer à une production plus grande et variée : chaque pays s’investit dans la production de biens où sa productivité est relativement plus élevée, ce qui génère une production totale plus grande. Le commerce entre les deux pays leur permettra de diversifier leur consommation malgré la spécialisation extrême.

Notons tout de même quelques-unes des limites de ce simple modèle qui rendent son application à la réalité discutable. Le seul facteur de production est le travail, il est parfaitement mobile à l’intérieur du pays pouvant passer d’une industrie à l’autre, mais pas internationalement. Les coûts de transport y sont nuls et les rendements sont constants, ce qui veut dire que si un pays double la quantité de facteurs de production, il double la production, pas plus et pas moins. D’autres hypothèses du modèle sont aussi questionnables, mais celles-ci exposent bien sa distance avec la réalité. D’autres modèles théoriques comme celui d’Heckscher-Ohlin-Samuelson ont tenté d’ajuster certaines des hypothèses du modèle de base, par exemple, en tenant compte du capital comme second facteur de production (avec le travail). Toutefois, il faut faire attention aux raccourcis intellectuels en omettant de confronter les hypothèses théoriques aux réalités empiriques. Non seulement doit-on connaître les limites des modèles économiques utilisés, mais il faut surtout explorer leur adaptation au monde réel.

Le modèle d’équilibre général calculable : la bonne nouvelle

Une étude commandée par Commission européenne et le gouvernement du Canada a évalué les coûts et bénéfices éventuels du retrait de certaines barrières aux échanges (tarifaires et non-tarifaires) entre l’Union Européenne et le Canada. Elle conclut que 80 000 emplois pourraient être créés, les revenus du Canada augmenteraient de 12 milliards par année et que, en moyenne, les ménages canadiens verraient leurs revenus annuels augmenter de 1000$. Avouez que c’est vendeur. Le problème? Surprise, les hypothèses de base du modèle utilisé nous mènent nécessairement à des bénéfices… Ici, on suppose que l’économie est toujours au plein-emploi, car même si on perd le sien dans un secteur A, on arrive toujours à en trouver un autre dans un secteur gagnant (parce que oui, l’agriculteur pourra dès le lendemain trouver sa place sur une chaîne de montage chez Bombardier…). Le capital est aussi parfaitement mobile – pas spécifique à une industrie – et peut donc passer du secteur perdant au gagnant. Si les salaires diminuent, pas de problème, on substituera au capital du travail, ce qui augmentera le taux d’emploi. Si la distribution des revenus change pour favoriser ceux qui se trouvent tout en haut, pas de problème, les riches vont épargner et toutes ces économies résulteront nécessairement en de plus grands investissements. Finalement, tous ces ajustements se feront, bien sûr, sans aucun coût. Tout cela pour nous garantir que la demande agrégée [1]ne diminuera pas.

En d’autres mots, on ne peut être convaincu·e que le libre-échange mènera nécessairement à des bénéfices (ou à des bénéfices aussi élevés) quand le cadre d’analyse utilisé est tel que la conséquence qui pourrait engendrer des effets négatifs (une baisse de la demande agrégée), est éludée dans la construction même du modèle.

Grain de sel

Sans discréditer complètement le travail des économistes, il faut tout de même prendre ces prédictions à la légère. Même si vous n’êtes pas économiste et au fait des subtilités et implications de différentes méthodes d’estimation, ne vous laissez pas impressionner; lisez bien les hypothèses de départ et tentez de déduire la direction dans laquelle celles-ci peuvent tirer les résultats des études, pour mieux calibrer le grain de sel avec lequel les prendre.

Pour lire davantage à ce sujet, venez ici, ou ailleurs sur le même blogue. Pour lire une étude basée sur un modèle qui, sans être parfaite, corrige pour le moins plusieurs lacunes de celui de l’équilibre général, et m’a d’ailleurs aidé à comprendre certains enjeux exposés dans ce blogue, venez ici.


[1] Demande totale des biens et services produits dans un pays qui sera consommé par les ménages, les gouvernements, les entreprises et à l’étranger.

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