L’histoire ne se répète pas mais elle se ressemble
6 avril 2016
L’annonce cette semaine de la publication des Panama papers par un consortium médiatique semble avoir eu l’effet d’une bombe, voire d’une surprise pour plusieurs personnes. À moins que l’on ait omis de me spécifier que nous n’étions plus dans le capitalisme et que la tendance de ce dernier à se financiariser de plus en plus n’était qu’un leurre pour vendre plus de livres critiques d’économie, il n’y a pas grand-chose de surprenant.
Ne pas être surpris ne veut pas dire cautionner le système, au contraire, nous pouvons y voir un problème systémique plutôt que quelques pommes pourries, comme le disait mon collègue Philippe lundi dernier. D’autres y voient plutôt quelque chose de normal. Ramon Fonseca, co-fondateur de la firme Mossack Fonseca et ancien ministre panaméen, nous dit aussi que nous ne devrions pas être surpris. Sa sortie n’est évidemment pas pour condamner les personnes faisant usage des paradis fiscaux, mais plutôt de trouver un autre coupable : «Certains pays n’aiment pas que nous soyons aussi compétitifs pour attirer des compagnies.» En d’autres termes, ce sont les politiques fiscales des États qui font défaut, pas les individus et les entreprises qui font usage de stratagèmes fiscaux pour ne pas payer d’impôt.
Même si elle ne réagissait pas aux Panama papers, Nathaly Egrably-Levy nous offrait, il y a quelques semaines, une position rhétorique similaire à celle du co-fondateur de Mossack Fonseca : «s’il existe des paradis fiscaux, c’est pour échapper aux enfers fiscaux. Les entreprises n’ont donc ni à se défendre ni à s’excuser de faire migrer leurs profits. Leurs comportements révèlent simplement que le système fiscal de leur pays est confiscatoire et toxique.» Au-delà du choix de vocabulaire utilisé dans ce segment qui montre un État malade et inutile, il semble y avoir une tendance de plus en plus importante à vouloir faire porter les fraudes, l’évitement, l’évasion et les stratégies fiscales agressives comme réponse à un problème de compétitivité fiscale.
Dans ce billet-ci justement, je laisserai de côté les paradis fiscaux spécifiquement pour me concentrer sur l’organisation fiscale internationale qui permet aux gouvernements nationaux de continuellement baisser les impôts des plus riches et des entreprises. Je m’attarderai ensuite à montrer que la souveraineté internationale du Canada vise plus à encourager le déplacement des capitaux que de permettre une hausse de ses revenus.
La sacro-sainte compétitivité fiscale
C’est de domaine public que lorsqu’un gouvernement souhaite baisser les impôts des entreprises ou des particuliers (on utilise aussi très souvent le terme « allègement fiscal» pour supposer que le taux d’imposition étouffe), celui-ci se justifie de deux manières. 1) Que sa politique fiscale est mise en place pour dynamiser l’économie ou encore que 2), celle-ci vise à instaurer un environnement fiscal compétitif. Le problème majeur avec ces deux justifications c’est que celles-ci sont rhétoriques et non empiriques. C’est-à-dire que leur utilisation justificatrice n’a pas besoin de passer l’épreuve des faits.
Revenons-en justement, aux faits. Pour l’impôt des particuliers, le Québec n’a plus le taux marginal le plus élevé au Canada. Pour les entreprises, nous sommes déjà dans un environnement fiscal compétitif comparativement à plusieurs de nos voisins, dont les États-Unis. Qu’a cela ne tienne, le dernier budget provincial offre un nouvel «allègement» fiscal pour les entreprises. Évidemment, cette pratique justificatrice n’est pas l’apanage du gouvernement canadien et québécois. La question qu’il faut se poser est la suivante: avec qui sommes-nous en compétition? Si, comme nous venons de le voir, les gouvernements ne prennent pas en considération qu’ils possèdent, sur leur territoire, un environnement fiscal compétitif, peut-être que nous ne sommes pas en compétition contre un autre État, mais contre une idée ou un principe même, soit celui d’imposer. Si tous les États ne prennent pas en compte la réalité fiscale de leurs «compétiteurs», la seule issue possible pour véritablement arriver à matérialiser leur idée d’être compétitif au plan fiscal, c’est d’éradiquer l’impôt. Dans cette course folle, les États oublient qu’il n’y a pas que l’économie qui s’est internationalisée dans les dernières années, les impôts aussi, sous la forme des conventions fiscales internationales.
Les conventions fiscales internationales : générer des mouvements transfrontaliers de capitaux
Lors de l’achat de Tim Hortons par Burger King, ce dernier envisageait de déménager son siège social au Canada. Pourquoi? Sans surprise c’était pour payer moins d’impôt. Mais ce n’était pas le taux canadien qui intéressait les actionnaires de Burger King, mais les conventions fiscales internationales. Nous connaissons assez bien les traités économiques internationaux. Au Canada et ailleurs dans le monde, ils ont généralement droit à une visibilité médiatique importante et ce, même lorsqu’ils sont négociés en secret comme l’accord du Partenariat Transpacifique. Cependant, entendons-nous parler des conventions fiscales du Canada? Pourtant, le Canada possède près de 100 conventions signées, dont 92 sont en vigueur. Cela veut dire que le Canada possède un accord fiscal avec plus de la moitié des pays reconnus par l’ONU (197). Contrairement aux traités internationaux autour desquels il y a des débats dans l’espace public, les conventions fiscales ne sont pas multilatérales, mais bilatérales et elles offrent un potentiel de négociation spécifique pour chacune de celles-ci.
Selon le gouvernement du Canada, «[c]es conventions fiscales visent à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale.» En principe, il n’y a pas vraiment de problème à vouloir imposer équitablement les sources de revenu et d’éviter que celles-ci soient imposées deux fois. En pratique, le concept de double imposition a largement été utilisé comme justification pour créer des taux effectifs d’imposition avantageux pour certaines formes de revenu. C’est le cas par exemple des crédits d’impôt pour dividendes. Au niveau international, la convention vise à éviter la double imposition de deux juridictions nationales souveraines puisque selon l’OCDE : « [l]a double imposition juridique internationale […] a des effets néfastes sur l’échange international de biens et de services et sur les mouvements transfrontaliers de capitaux, de technologie et de personnes». Le but avoué de ces conventions est entre autres de favoriser le «mouvement transfrontalier de capitaux». Lorsqu’une entreprise ou un individu déclare des revenus dans un pays avec lequel le Canada a une convention, il est établi que ledit revenu a déjà été imposé. Et ce, sans prendre en considération le taux d’imposition qui a été appliqué. C’est la raison pour laquelle plusieurs entreprises souhaitaient déménager leurs sièges sociaux en Irlande, puisque ce pays possédait l’un des plus bas taux dans le monde et était signataire de conventions. Donc en toute légalité, ces conventions permettent de créer de «mini-paradis» fiscaux pour les entreprises internationales qui sont en mesure de générer du «mouvement transfrontalier de capitaux».
Et les paradis fiscaux?
Ce qui est généralement admis comme un paradis fiscal est un territoire qui ne possède pas de convention fiscale avec le Canada, mais plutôt des accords d’échanges de renseignements fiscaux (22 au total dont avec le Panama). Comme l’internationalisation économique de années 80 au sein de laquelle on favorisait la baisse des salaires et avec les traités économiques encourageant la délocalisation, nous avons aujourd’hui une course mystique à la baisse des impôts pour les entreprises et le capital tout en favorisant un environnement de délocalisation et de mouvement transfrontalier de capitaux par l’entremise des conventions fiscales. Pour paraphraser Umberto Eco « L’histoire ne se répète jamais, mais parfois elle se ressemble étrangement.»