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Gaz de schiste : le « chapitre 11 » s’en mêle

4 juin 2013

  • Bertrand Schepper

Tant au Québec qu’aux États-Unis, les pouvoirs publics légifèrent de façon à protéger les populations des risques liés à l’industrie du schiste. Ces précautions pourraient toutefois se heurter à une disposition controversée de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) : le fameux chapitre 11 sur le droit des investisseurs.

Aux États-Unis, le Bureau of Land Management (BLM) est l’agence du Département de l’Intérieur qui gère l’ensemble des terrains publics du pays et dont la mission consiste à préserver la santé, la richesse de la diversité et la productivité des terres. Récemment, le BLM a recommandé au gouvernement étasunien de cesser l’octroi de baux d’exploitation d’huile de schiste à des fins commerciales. L’Agence propose plutôt à la Maison-Blanche de s’en tenir à l’extraction d’huile de schiste à des fins de recherche et de développement. Étant donné les risques environnementaux élevés et l’incertitude liée à la fiabilité technologique entourant ce type de développement, le BLM privilégie une limitation des risques.

Ces craintes sont partagées par le CERES, un réseau d’investisseur en développement durable gérant des actifs évalués à 11 G$, qui considère que les risques économiques, technologiques, environnementaux et règlementaires sont bien trop importants pour garantir un investissement rentable à long terme.

Devant ces constats, on ne peut que saluer la décision du gouvernement du Québec d’instaurer un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste (qui inclut le pétrole de schiste) et d’entamer en mai 2011 une évaluation environnementale. En juin 2012, le gouvernement a également légiféré de façon à restreindre les activités de fracturations sur certaines réserves hydrauliques du fleuve Saint-Laurent. Ces décisions prises pour protéger la santé publique et l’environnement des effets méconnus d’une technologie réputée comme néfaste font certainement partie des responsabilités de l’État.

Or, cette décision ne fait pas que des heureux. Le 15 novembre 2012, la compagnie étasunienne Lone Pine Resources Inc. menaçait de poursuivre le gouvernement fédéral à hauteur de 250 millions de dollars.  L’entreprise se dit victime d’une décision arbitraire qui viole les lois de l’ALENA. Pour assoir sa poursuite sur une base légale, elle évoque le chapitre 11 des dispositions de l’ALENA qui permettent à une société de poursuivre un État si elle juge que ses « droits économiques » ont été violés. Ainsi, Lone Pine Resources considère que ces « profits potentiels » ont été infléchis par la décision de Québec d’empêcher la fracturation sous le Saint-Laurent. Elle exige une compensation monétaire.

Dans un contexte où le Canada multiplie les négociations en vue de la signature d’accords de libre-échange notamment avec l’Europe, la Chine ou les pays du Pacifique, il devient urgent de mieux comprendre les impacts juridiques (et politiques) de l’ALENA. Lors des négociations de ce traité entre le Canada, les États-Unis et le Mexique dans les années 90, le chapitre 11 a été adopté dans le but de protéger les investissements d’entreprises étatsuniennes et canadiennes des législations du Mexique que ces dernières jugeraient abusives et injustifiées.

Or, l’usage d’un article de loi ne repose pas sur les motivations originelles des auteurs du texte, mais bien sur l’interprétation qu’en font les juges. Le chapitre 11 s’est ainsi transformé en instrument, utilisé par les entreprises privées, pour menacer des gouvernements lorsque les décisions de ceux-ci nuisent à leur rentabilité, voire à leur simples rêves de rentabilité.

À ce jour, peu de décisions ont été rendues en faveur des entreprises devant les tribunaux internationaux. La raison est plutôt simple : les gouvernements préfèrent régler hors cour (voir des exemples de cas ici). Le simple fait de menacer de poursuivre aura permis à des entreprises de recevoir des millions de dollars d’argent public sur la base de profits virtuels espérés. Dans le cas de Lone Pine Resources, l’entreprise insurgée espère soutirer 250M$ à l’État en dépit du fait que la ressource pétrolière sous le bassin du Saint-Laurent n’est toujours pas exploitée. Un si important montant d’argent sans extraire une goutte de pétrole d’une ressource risquée, c’est une belle réussite, d’un point de vue d’affaires.

Selon Scott Sinclair du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), ce type de poursuite risque de s’amplifier tant en nombre qu’en valeur dans les années à venir. L’arrivée de nouveaux joueurs européens et chinois par l’extension du libre-échange aura un effet d’augmentation des poursuites. Selon Sinclair, tant que la protection de l’environnement, la sécurité publique et d’autres lois canadiennes ne sont pas totalement protégées, les dispositions comme le chapitre 11 devraient être exclues des négociations de libre-échange.

Rien ne laisse croire que Lone Pine Resources réussira à démontrer que la décision de Québec était arbitraire. Elle s’engage néanmoins dans une voie au bout de laquelle elle pourrait toucher des sommes importantes par le biais d’une entente hors cour sans avoir démontré sa capacité à exploiter le pétrole de schiste. Le gouvernement serait pénalisé pour avoir agi de manière prudente et responsable.

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