Des larmes de sang
14 avril 2015
Au début des années 2000, lors de ma toute première année à l’université, le professeur du cours sur la politique latino-américaine avait amorcé son cours en nous parlant d’un auteur uruguayen, Eduardo Galeano.
C’était la première fois que j’entendais parler de l’auteur du célèbre essai « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », un ouvrage qui raconte la colonisation. S’introduire à l’Amérique latine à travers les écrits Galeano est un enchantement, et ce, même si l’histoire qu’il nous rapporte à propos de ses peuples n’est pas toujours gaie.
Eduardo Galeano s’est éteint hier à Montevideo. Il avait 74 ans.
L’Amérique latine et le monde perd ainsi un autre grandiose écrivain après les décès récents du colombien Gabriel García Márquez (1927-2014) et du mexicain Carlos Fuentes (1928-2012). Comme ces autres personnages, Galeano était un écrivain dont l’œuvre débordait la littérature. En Amérique latine, les président-e-s ont l’air de personnages de romans et les écrivains ont souvent la stature des président-e-s.
Galeano a inspiré l’IRIS.
Le même cours de politique latino-américaine qui m’avait fait connaître Eduardo Galeano m’avait appris que deux éléments sont communs à ce que l’on désigne sous le nom d’Amérique latine : une langue latine et un héritage catholique. À ce compte-là, le Québec ne serait-il pas aussi l’Amérique latine ?
Les premières lignes de Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain, l’ouvrage collectif publié par l’IRIS il y a quelques semaines sont consacrées à la pensée de Galeano. Mon collègue Simon Tremblay-Pepin écrit que pour l’uruguayen, les richesses naturelles auront été « une malédiction dont les foudres auraient pris là-bas la forme de la colonisation ». C’est dire que le livre classique de Galeano nous a donc servi de point de départ pour repenser l’histoire notre coin latino-nordique des Amériques.
Au fil du temps, « Las venas abiertas de la América latina » en aura fasciné plus d’un-e.
En 2009, l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez l’avait offert en grandes pompes au président des États-Unis Barack Obama lors du Sommet des Amériques de Trinidad-et-Tobago. Ce coup d’éclat devant les caméras avait propulsé l’essai paru en 1971 au sommet des palmarès de ventes sur internet…
Il y a un mois à peine, déjà malade, il recevait encore la visite du président aymara de Bolivie, Evo Morales. C’est vrai que qu’Eduardo Galeano avait l’image du vieux sage que l’on rêve tous et toutes d’aller visiter.
En lui disant maintenant adieu, il ne reste plus qu’à souhaiter que, pour lui rendre hommage, ce sont les chiens désormais qui écraseront les voitures, et que les économistes n’appelleront plus qualité de vie la quantité de choses… (tiré de Derecho al delirio)
crédit photo: Mariela De Marchi Moyano