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De l’intérêt de certains acteurs financiers à déstabiliser les États

5 décembre 2012

  • Julia Posca

Dans une brochure publiée le mois dernier, l’IRIS attirait l’attention sur le pouvoir qu’ont acquis les agences de notation au cours des 20 dernières années, en soulignant que ce pouvoir donnait la mesure de la toute-puissance des marchés financiers dans le contexte économique actuel. L’actualité nous offre une autre démonstration des effets pervers de cette toute-puissance sur l’économie réelle et la souveraineté des États.

République d’Argentine vs NML Capital

Le 21 novembre dernier, le juge Thomas Griesa de la cour du district de New York ordonnait à la République d’Argentine de verser à NML Capital (une filiale de Elliott Management Corporation, dirigée parle le milliardaire Paul Singer) 100% de la valeur de créances totalisant 1,33 milliard de dollars. Depuis, la cour d’appel a suspendu ce jugement suite à une requête de Buenos Aires. Mais l’agence Fitch avait déjà dégradé la notation souveraine de l’Argentine de 5 crans, de B à CC, après que les Argentins aient affirmé qu’ils n’avaient pas l’intention de rembourser les créances détenues par les plaignants. Le ministre de l’Économie, Hernán Lorenzino, a avancé que Fitch « punissait l’Argentine pour faire preuve d’autonomie en matière de politique économique ».

Le commentaire du ministre argentin doit nous faire réaliser que derrière cette affaire se cache une réalité beaucoup plus complexe que ne l’a laissé entendre le juge Griesa lorsqu’il a affirmé : « On pourrait difficilement considérer injustes des jugements qui, tout compte fait, signifient que l’Argentine doit rembourser les dettes qu’elle a contractées », et laisse entrevoir une dynamique qui met en danger la stabilité de nos économies.

Profiter des crises économiques

Revenons d’abord sur le procès intenté par NML Capital. Il faut se rappeler que c’est dans un contexte de profonde crise économique que l’Argentine avait fin 2001 suspendu les paiements sur sa dette extérieure. En 2005 et 2010, elle a négocié la restructuration de 93% des titres de dette sur lesquels elle avait fait défaut. Les fonds comme NML Capital qui demandent aujourd’hui d’être remboursé en totalité ne possédaient pas de titres de la dette argentine avant la « faillite » de 2001. C’est seulement une fois que l’Argentine a fait défaut qu’ils se les sont procurés, pour ensuite chercher par tous les moyens à se faire rembourser. Les pratiques de ces fonds spécialisés dans le rachat de créances douteuses leur ont valu de se faire accoler le qualificatif de « fonds vautours ». Le 2 octobre, NML a par exemple fait saisir un navire-école de la marine argentine amarré au Ghana afin d’augmenter la pression sur l’Argentine.

Spéculer sur l’instabilité économique

Pendant ce temps, le bras de fer entre Buenos Aires et les fonds spéculatifs profite aux détenteurs de credit default swap (CDS) sur la dette argentine. Les CDS sont des garanties contre le défaut de paiement. La valeur de ces titres a augmenté suite à la décision du juge Griesa et comme conséquence de la décote de Fitch, que les marchés financiers ont perçu comme le signe que le risque de défaut de paiement était vraisemblable. Or un défaut de paiement du pays, envisageable advenant que l’Argentine doivent rembourser NML et les autres fonds spéculatifs qui la poursuivent, enclencherait le paiement des CDS. « Malheureusement » pour ceux qui voulaient spéculer sur la dette argentine, la suspension du jugement Griesa par la cour d’appel a fait chuter la valeur des CDS. Dans cet exemple, on voit bien comment la spéculation (rumeurs sur la probabilité d’un défaut de paiement), qui est alimentée par les agences de notation, est la condition de possibilité du rendement sur les marchés financiers (augmentation de la valeur des CDS).

Un conflit majeur

Il ne faut pas voir les déboires de l’Argentine comme un cas-limite, mais plutôt comme une démonstration éclatante du conflit qui oppose le pouvoir de la finance à celui des États. Si un État souverain ne peut plus décider lui-même de sa politique monétaire ou de ses politiques publiques sans subir les représailles des marchés financiers, alors il faut se demander à quel point nous vivons encore en régime démocratique.

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