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L’égalité n’est pas « presque acquise »

21 septembre 2017


En entrevue avec le Journal de Québec, Louise Cordeau laissait planer il y a quelques jours, la possibilité d’un changement de nom pour le Conseil du statut de la femme (CSF). Ainsi, la nouvelle présidente souhaite que ce dernier reflète l’évolution de notre société à l’égard des enjeux d’inégalité entre hommes et femmes, l’égalité étant à son avis « presque acquise ». Son intervention reflète bien le mur auquel le progrès en termes d’équité se heurte.

C’est fascinant de voir à quel point l’idée voulant que l’égalité soit atteinte est difficile à déloger des esprits. À ce sujet, l’IRIS publiait une note en avril dernier qui recensait les écarts salariaux entre hommes et femmes selon différentes caractéristiques comme l’expérience, le domaine d’étude ou le temps de travail. Le constat fut clair : l’égalité n’est pas atteinte, et la possibilité de suivre une trajectoire similaire sur le marché du travail pour les hommes et les femmes est différenciée.

Les publications relatant ces inégalités au Québec ne sont pas en pénurie : il y a à peine un mois, l’auteure et journaliste Marilyse Hamelin publiait un essai percutant sur les inégalités parentales.

Intitulé Maternité, la face cachée du sexisme, cet ouvrage met des témoignages, des expériences et une narration derrière ce que plusieurs chercheur·e·s tentent d’articuler à l’aide d’analyses statistiques : la maternité – et les années qui la suivent – est le terreau fertile d’un traitement différencié selon le sexe sur le marché du travail.

Procréer : un sacrifice avant tout féminin

Sans remettre en question le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), un outil collectif dont le Québec s’est doté afin de permettre aux Québécois et aux Québécoises de combiner carrière et parentalité, on note tout de même quelques lacunes quant à son application.

À ce jour, le régime de base comprend 18 semaines de congé de maternité, 5 semaines de congé de paternité et 32 semaines à partager. Or, comme l’auteure le mentionne, malgré une utilisation assez populaire du côté du congé de paternité avec 80% des pères qui s’en prévalent, 30% d’entre eux n’ont pris qu’une ou deux des semaines partageables.

Ce partage différencié a un impact sur la façon dont le retour au travail se déroulera pour chacun et chacune. En effet, malgré un objectif louable du RQAP, il arrive qu’au moment de réinsérer son poste, l’horaire, les heures de travail ou les ententes préalables quant à la flexibilité lors de la réinsertion aient été modifiées, ce qui forcera l’employée à démissionner. Malheureusement, rien n’est prévu du côté de l’assurance-emploi pour se prémunir de ce risque, surtout supporté par les femmes, alors que du côté des hommes (en moyenne) la coupure du lien d’emploi est beaucoup moins commune et prolongée.

De plus, on observe qu’il est peu commun que les semaines de congé de paternité soient utilisées, même partiellement, pendant que la mère est de retour au travail. Ainsi, les pères vont être moins exposés à une situation dans laquelle ils sont seuls à gérer la marmaille.

Des conséquences pour toutes… et tous

Sur le marché du travail, l’impact est évident : vous êtes une jeune femme (malgré que le spectre des possibles quant à la maternité s’élargit), vous êtes donc suspecte de parentalité future et donc de maternité.

Non seulement, dans la recherche d’emploi, il y aura une pénalité mais également dans la réception de promotions. Et va sans dire que tous les petits imprévus que la parentalité implique ne font pas objet du même jugement selon la personne qui le vit. Vous devez vous absenter pour amener le petit chez le médecin? Vous êtes un bon père ou une mère mal organisée. Et le père qui partage réellement la moitié des tâches avec sa conjointe ne se dégage pas du risque de se faire coller une étiquette par ses comparses masculins quant à l’étendue de sa virilité.

Des solutions?

Je ne soulève ici qu’une fraction infime des enjeux traités par Marilyse Hamelin, et laisse le plaisir (même si en tant que jeune femme, c’est un plaisir à teneur irritante) de découvrir le reste de l’ouvrage. Reste tout de même qu’on met de l’avant des solutions qui valent la peine d’être considérées.

D’abord, on doit arriver à rendre le RQAP plus flexible en établissant le congé en nombre de jours plutôt qu’en semaines et permettre ainsi d’en entrer ou d’en sortir de façon graduelle. Une mesure qui toucherait plus particulièrement les parents monoparentaux et aux horaires atypiques.

Du côté de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), on doit identifier et punir les employeurs délinquants qui mettent en jeu l’application du programme en modifiant les conditions de réalisation du travail au retour du congé.

Ensuite, il faut arriver à rendre ce programme accessible aux personnes à faible revenu (souvent les femmes, pour des raisons pas étrangères à tout ce que vous venez de lire) puisque 70% de miettes, c’est bien peu pour accueillir un nouveau membre de la famille.

Finalement, on propose de rallonger les semaines de congé de paternité, mais aussi de faire en sorte que certaines d’entre elles soient prises de façon indépendante à celles de la mère, pour éviter que le père ne devienne « aidant » plutôt que juste un père qui remplit son rôle.

Égalité « presque acquise » ?

En somme, on ne peut voir la place que prennent maintenant les femmes sur le marché du travail comme une garantie que tout va bien. On doit trouver les moyens de déloger la femme comme parent par défaut. La tâche n’est pas qu’une mince affaire, l’égalité n’est donc pas « presque » acquise… Comme l’auteure nous permet de constater, le travail est d’envergure, mais en plus, comme la présidente du CSF nous le démontre, il faut d’abord convaincre qu’il y reste effectivement du travail à faire…

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