Hausse d’impôts : attention aux erreurs grossières
17 octobre 2018
Le 29 septembre dernier, le chroniqueur du Devoir Gérard Bérubé publiait un texte intitulé « Hausser l’impôt des mieux nantis ne rapporte pas ». Non seulement le titre de cet article ne reflète pas le contenu de l’étude de l’Institut C.D. Howe auquel il se réfère (et qui s’intéresse plutôt au degré de réussite de telles mesures), mais l’étude elle-même comporte des problèmes méthodologiques majeurs qui remettent en question ses conclusions.
Rappelons que ce débat sur l’effectivité des hausses d’impôts des plus riches a été réanimé à la fin août suite de l’annonce de l’Agence de revenu du Canada à l’effet que les recettes tirées de l’impôt des contribuables avec un revenu élevé ont diminué de 4,6 milliards de dollars en 2016, malgré la décision du gouvernement libéral de hausser de 29 % à 33 % le taux marginal d’imposition des personnes gagnant 200 000$ et plus.
À la fin septembre, l’Institut C.D. Howe a renchéri en affirmant que la réaction des contribuables indiquerait une « élasticité du revenu imposable (ÉRI) » de 0,56, ce qui signifie que les contribuables visés par les hausses d’impôts du ministre des Finances auraient réduit leurs revenus déclarés de l’équivalent de 5,6 % face à une baisse de 10 % du « revenu laissé dans leurs poches ». Un tel résultat tendrait à refroidir les ardeurs de ceux qui voudraient engranger plus de recettes en « faisant payer les riches ».
Nous identifions toutefois au moins trois problèmes avec les calculs de l’Institut C.D. Howe. Le premier concerne la disponibilité des statistiques fiscales des particuliers au fédéral. Comme les données finales ne sont disponibles que deux ans après une année donnée, l’Agence du revenu ne publie d’abord que des données préliminaires. Or, comparer des données préliminaires de 2016 avec des données finales des années précédentes, comme le fait l’auteur, est un peu comme comparer des oranges avec des clémentines. De fait, un calcul qui aurait pris soin d’ajuster les données préliminaires afin qu’elles reflètent la correction qui se produit nécessairement au moment de la diffusion des données finales (en s’alignant sur ce qui se produit depuis 2012) aurait obtenu un revenu total 8,4 milliards plus élevé, ce qui aurait modifié l’ÉRI trouvée par le C.D. Howe.
Mais il y a pire. Pour réaliser ses estimations, l’Institut C.D. Howe a postulé que la croissance annuelle des revenus des contribuables qui gagnent entre 100 000 $ et 249 999 $ est la même que celle des revenus des personnes qui gagnent 250 000 $ et plus. Une vérification permet de voir que ce n’est pas le cas – le revenu des premiers augmentent chaque année plus rapidement que celui des seconds – et que ça change complètement les calculs de l’ÉRI. En effet, une fois ajusté en fonction des données des années précédentes, on se retrouve avec une ÉRI négative (-0,07 plutôt que 0,56) !
Il serait téméraire de prétendre que l’ÉRI est réellement négative (ce qui voudrait dire que les plus riches ont décidé d’augmenter leurs revenus bruts pour compenser la baisse de leurs revenus due à l’augmentation de l’impôt), notamment parce que ce calcul repose sur de nombreuses hypothèses qui peuvent faire varier grandement le résultat de son estimation selon celles qu’on retient. L’exercice montre néanmoins que les données utilisées dans l’étude publiée par l’Institut C.D. Howe et reprises dans la chronique de M. Bérubé sont erronées. On comprend aussi qu’il faudra attendre la publication des données finales pour les années 2017 et 2018 en 2020 ou même en 2021 pour analyser les effets de la hausse du taux marginal d’imposition maximal sur le comportement des riches avec plus de précision.
C’est d’ailleurs la prudence qu’avait eu l’économiste Emmanuel Saez lorsqu’il avait voulu mesurer ce phénomène à la suite des hausses d’impôts du président Obama en 2013. Les revenus déclarés par les plus riches avaient augmenté en 2012 (les plus riches cherchant à devancer leurs revenus avant les hausses d’impôts), puis avaient diminué en 2013, avant de reprendre une trajectoire similaire à avant 2013 en 2014 et 2015, une fois les effets du devancement des revenus terminés. En procédant ainsi, Saez a estimé au bout du compte que les recettes avaient atteint environ 80 % de l’objectif qui lui était associé, soit le double de l’estimation de l’étude de l’Institut C.D. Howe pour le Canada. Rien ne garantit que le résultat soit le même dans les deux cas, mais l’étude de M. Saez nous enseigne à ne pas tirer de conclusion hâtive et celle de l’Institut C.D. Howe la leçon de toujours veiller à utiliser des données comparables.