Grandeur et décadence du NHS
7 novembre 2012
Le Royaume-Uni a entrepris une réforme sans précédent de son système de santé, le National Health Service (NHS). Mis en place en 1948 au moment de la reconstruction du pays, le NHS aura été l’une des pièces-maîtresses du système social mis en place en Angleterre suite au Rapport Beveridge. Son auteur, l’économiste William Beveridge, aura en quelque sorte opérationnalisé la pensée de John Maynard Keynes à travers les services sociaux d’un État-Providence.
C’est par ailleurs de Beveridge lui-même, son professeur à la London School of Economics, que s’est inspiré Leonard Marsh au Canada pour l’écriture d’un « Rapport Marsh » qui fut, en 1943, la pierre d’assise de l’État social canadien.
Après soixante ans de service, le NHS sera complètement transformé en 2013.
En effet, peu après la victoire de la coalition conservatrice/libérale-démocrate en 2010, le Département de la Santé britannique publiait un livre blanc sur le NHS, « Equity and Excellence: Liberating the NHS ».
Sans surprise, ce rapport propose de faire appel à une gestion axée sur une logique de marché, en abolissant par exemple le plafond des revenus que les établissements de santé peuvent recevoir des « autres sources », à savoir les assurances privées et les services diagnostics.
Mais la réforme proposée va beaucoup plus loin en proposant la décentralisation massive du système par la transformation de tous les hôpitaux du NHS en « Foundation Trusts ». L’autonomie financière de ces entités et les manques à gagner du service de santé doivent les pousser à multiplier des partenariats public-privé (PPP) pour toutes sortes de services.
La proposition deviendra une loi, le Health and Social Care Bill, et terminera son cheminement législatif par la ratification royale en mars 2013.
Pour de nombreux observateurs, cette loi met carrément fin au NHS. Puisqu’elle élimine le devoir qui incombait au Secrétaire d’État à la Santé de fournir des soins à toute la population, c’est le principe même à l’origine du NHS qui disparaît.
Le Bill doit permettre de soumettre plus avant la santé à de la compétition, à même titre que les télécommunications ou les chemins de fer, par exemple. Cela pourrait également favoriser l’expansion du secteur privé et possiblement ouvrir le pays à la compétition européenne.
Aux PPP que contractent les hôpitaux s’ajoutent à présent le développement de franchises, les contrats de gestion et les rachats par des corporations d’hôpitaux publics.
La professeure en santé publique Allyson Pollock illustre ainsi la dynamique en cours :
NHS hospitals and services are being sold off or incorporated; land and buildings are being turned over to bankers and equity investors. RBS, Assura, Serco and Carillion, to name but a few, are raking in billions in taxpayer funds for leasing out and part-operating PFI hospitals, community clinics and GP surgeries that we once owned.
Pollock écrit que la compagnie Virgin a reçu 630M£ pour prendre en charge les personnes vulnérables et les enfants des régions du Surrey et du Devon. L’entreprise Circle, elle, s’est tout simplement vue octroyée une franchise du NHS.
Pollock affirme qu’il n’y a plus d’imputabilité ni de transparence dans le système marchand de santé qui succède au NHS. À ceux qui voudraient les détails des contrats, on leur répondra, comme le fait systématiquement ici Hydro-Québec, que la divulgation de cette information brimerait la liberté d’entreprise.
Un volet par ailleurs médiatisé de la nouvelle approche a mis l’accent sur la possibilité faite aux hôpitaux d’ouvrir des franchises du NHS… à l’étranger !
Le but de cette « innovation », pour ceux qui la saluent, est de tirer profit de l’image de marque du « NHS » (d’ailleurs vantée lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Londres) pour offrir des services de santé privés à l’étranger, rapatrier les profits et ainsi financer les manques à gagner du système national. Bien sûr, ces établissements de santé ne porteront que la bannière du NHS ; leur organisation n’aura rien à voir avec le système développé au Royaume-Uni après la guerre.
Tordu, oui, mais également inquiétant lorsque l’on connaît la propension canadienne à importer les modèles anglo-saxons. On l’a souvent observé, pour le meilleur et pour le pire, au chapitre de la santé, mais aussi de l’éducation désormais. À l’heure où le « Medicare » canadien célèbre ses cinquante ans, il ne fait pas de doute que certains plaideront pour une réforme à l’anglaise en santé.