Glencore et l’évitement fiscal : un cas d’école de la stratégie du « prix de transfert » (2)
18 juillet 2022
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Dans un précédent billet, nous faisions état de la structure fiscale opaque de l’entreprise Glencore. Cette fois-ci, nous résumons une décision de la justice australienne à l’égard de Glencore, qui a statué sur la légalité d’une stratégie d’évitement fiscal dont usent et abusent les entreprises multinationales : le prix de transfert.
Du cuivre au rabais
Glencore extrait du cuivre par le biais de sa filiale Cobar Management Pty Ltd dans ses installations minières d’Australie. Ce cuivre brut est ensuite vendu à des concentrateurs comme celui de la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, où il est raffiné. Dans le cadre de cette vente, le prix auquel le cuivre brut est vendu est déterminant pour les revenus engrangés par Cobar Management et, ce faisant, le montant des impôts perçus par le trésor public australien.
Au cours des dernières années, les autorités fiscales australiennes ont réalisé que la filiale Cobar Management vendait d’abord le cuivre brut à la société suisse parente Glencore International AG à une fraction du prix du marché, soit 23%. Cette vente à rabais intra-entreprise constitue une des déclinaisons de la stratégie du « prix de transfert », où un prix hors marché est déterminé par une entreprise multinationale afin de transférer des actifs vers des législations où l’imposition des entreprises y est moindre. Dans ce cas-ci, Glencore a transféré à vil prix la propriété du cuivre brut australien à sa société établie en Suisse, car l’imposition y est beaucoup plus légère. La vente finale du cuivre brut au prix du marché à des fonderies par la société suisse sera donc enregistrée dans un paradis fiscal plutôt qu’en Australie, ce qui fera baisser la ponction fiscale consolidée de Glencore.
Sur trois années, le fisc australien a calculé que la diminution intentionnelle des revenus de la filiale australienne Cobar Management a occasionné un manque à gagner fiscal de 92 millions de dollars australiens, incluant les intérêts et pénalités. Les tribunaux australiens ont débouté tant en première instance qu’en appel les prétentions des pouvoirs publics australiens, qui exigeaient que la transaction du cuivre entre Glencore International AG et sa filiale australienne s’effectue selon un prix du marché à 50% plutôt que 23%, afin de mieux refléter les revenus qu’aurait dû engranger la filiale australienne. S’appuyant notamment sur le guide d’interprétation de l’OCDE en matière de prix de transfert et ses différentes interprétations par les tribunaux, les arguments des autorités fiscales australiennes ont été rejetés par les magistrats. Le stratagème de Glencore a donc été jugé légal, et la plus haute Cour d’Australie a refusé d’entendre l’appel en 2021.
Cette affaire juridique, que la firme comptable Deloitte a saluée comme une « victoire pour les payeurs de taxes », montre à quel point le droit fiscal international peut être outrageusement favorable aux entreprises multinationales, dont Glencore fait partie.
Un modus operandi
Glencore accumule les litiges fiscaux en matière de prix de transfert. En Zambie, dans une affaire en tout point similaire, la filiale zambienne de Glencore, Mopani Copper Mines Plc., vendait également son cuivre brut à Glencore International AG à une fraction du prix du marché, diminuant par le fait même les recettes fiscales zambiennes de 13 millions de dollars américains sur trois ans. L’autorité fiscale zambienne a cette fois eu gain de cause auprès de la Cour suprême de Zambie. Les juges ont par ailleurs débuté leur jugement par un plaidoyer évocateur de l’étendue du problème, particulièrement pour les pays sous-développés qui souffrent davantage des importants manques à gagner fiscaux occasionnés par les stratégies de prix de transfert :
« Le litige de cet appel est archétypique du problème que posent les sociétés multinationales engagées dans l’industrie extractive aux autorités fiscales de nombreuses économies en développement. Il met également en évidence, d’une certaine manière, l’inadéquation de la capacité institutionnelle à traiter efficacement avec ces sociétés; il révèle les lacunes dans l’expertise nécessaire pour recueillir et interpréter les informations techniques essentielles à une meilleure collecte des recettes fiscales auprès des sociétés multinationales. » [traduction libre de l’anglais]
Qu’en est-il au Québec?
La Fonderie Horne de Rouyn-Noranda raffine du cuivre et l’expédie à l’Affinerie CCR de Montréal, également propriété de Glencore. Ensuite, les cathodes de cuivre pures sont vendues sur le marché mondial. Comment cette opération de vente se déroule-t-elle? Donne-t-elle lieu à une forme de « prix de transfert », où le cuivre est d’abord vendu à un prix inférieur au marché à une des nombreuses sociétés de Glencore situées dans un paradis fiscal, pour ensuite être revendu à l’international au plein prix? Les revenus engrangés par la Fonderie Horne et l’Affinerie CCR, imposés par la suite par l’Agence du revenu du Canada et Revenu Québec, sont-ils artificiellement diminués? À l’heure où le gouvernement du Québec s’interroge sur l’opportunité de financer une partie des investissements requis à la Fonderie Horne pour abaisser ses rejets toxiques, ces questions fiscales méritent d’être posées.
Glencore, qui a déclaré des revenus bruts de 203 milliards de dollars américains en 2021, soit un montant une fois et demie supérieur au budget du Québec, est une multinationale qui tire manifestement avantage du droit fiscal. Ce serait tout un tour de force qu’en plus de cela, elle parvienne à soutirer des fonds au trésor public québécois afin de tenter de mettre en ordre son usine polluante à Rouyn-Noranda.
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3 comments
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Toutes les entreprises n’ont qu’un seul but: “Le bien-être de ses actionnaires”.
Pour le reste, ce n’est qu’événement fortuit.
Peut-être que si les employés étaient seuls actionnaires, ça changerait la donne.
En attendant, toute activité ayant lieu sur un territoire devrait être assujettie à toutes les lois du dit territoire.
… Et ça inclus les impôts à payer!
Le concept d’abri fiscal est un moyen d’éliminer la souveraineté nationale d’un territoire.
Un autre moyen étant le pouvoir de créer et d’utiliser l’argent-dette des banques privés.
Encore un autre? Le concept même de libre échange!
Tant qu’à y être… Le libre marché!
Au Canada, l’esclavage a été aboli le premier août 1834.
De nos jours, l,esclavage porte des vêtements neufs: l’endettement permanent.
… Et la justice ne réagit même pas!
Merci de mettre en lumière les pratiques douteuses de cette entreprise. Quand j’ai vu que la compagnie demandait de l’aide au gouvernement pour diminuer ses émissions d’arsenic, je n’en revenais pas. C’est inacceptable et honteux de leur part.
Génial comme analyse, il est temps qu’on mette fin à ces gestions créatives et malhonnêtes qui profitent aux investisseurs, mais qui coûtent chères au citoyen de chaque pays.