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Faut-il abolir la formule Rand?

29 octobre 2014

  • Philippe Hurteau

Pour plusieurs, la formule Rand devrait être abolie. En rendant obligatoire la participation au financement des activités syndicales pour chaque personne dont l’emploi est encadré par une convention collective, cette formule serait en contradiction avec nos libertés individuelles. Au-delà des réactions exacerbées et de la démagogie des commentateurs sur cet enjeu, le mieux est peut-être de ne pas trop s’attacher aux principes, mais aux effets qu’aurait une telle abolition. Pour ce faire, une étude des conséquences des lois « right to work » (RTW) aux États-Unis s’avère des plus utiles.

En interdisant la cotisation obligatoire tout en maintenant l’obligation faite aux syndicats de défendre les employé.e.s non cotisants, ce genre de loi vise explicitement à restreindre l’autonomie et la capacité d’action des organisations syndicales. Il ne s’agit aucunement d’assurer un quelconque « droit au travail », mais bien de s’en prendre à un « pouvoir syndical » que l’on fantasme comme étant démesuré.

Aux États-Unis, l’abolition de l’obligation de cotisation n’a pas eu d’effets positifs, ni pour l’économie ni pour les travailleuses et les travailleurs. Portée par une coalition alliant des élu.e.s du Parti républicain, des chercheur.e.s travaillant dans différents think tanks et des porte-paroles d’associations patronales, les lois RTW ont plutôt participé à fragiliser les conditions matérielles d’existence de nombre de salarié.e.s.

Durant les décennies 1970-1980-1990, le recul de la syndicalisation aux États-Unis a été constant et le phénomène des « free riders » – les salarié.e.s qui profitent de la protection syndicale sans participer à son financement – a nourri un cercle vicieux. À mesure que le financement des syndicats repose sur de moins en moins d’épaules, il devient de plus en plus tentant, sur le plan individuel, de se dégager de cette responsabilité. Les lois RTW attisent une dynamique de désolidarisation qui sape la capacité effective des syndicats à négocier de bonnes conditions de travail pour leurs membres. Cela se produit non seulement en raison de pressions financières bien réelles, mais surtout par une perte de légitimité de l’acteur syndical, causée par l’érosion, au niveau très concret de l’entreprise, de son effectif et donc de sa représentativité.

Il existe bien entendu une foule de données permettant de déterminer l’effet sur les salaires des lois RTW. Aux États-Unis, les États ayant adopté ce type de loi ont un salaire moyen inférieur de 7 226 $ par rapport aux autres États du pays.

Ce décalage est également vérifiable à l’examen du revenu médian des familles étatsuniennes (50 221$ pour l’année 2009). Au niveau des États, le revenu médian des ménages est supérieur au niveau national seulement dans quatre des 24 États RTW (soit 17 %). En contrepartie, nous retrouvons 17 des 27 États sans lois RTW (63 %) dans cette catégorie privilégiée.

Au-delà des écarts salariaux existant entre les États RTW et les autres, on constate aussi que l’adoption de ce type de loi induit un retard quant aux chances qu’ont les salarié.e.s de pouvoir compter sur un régime de retraite offert par l’employeur. À ce niveau, on note un retard de 4,8 points de pourcentage dans les États RTW par rapport à la moyenne nationale.

Cette détérioration des avantages salariaux et non salariaux touche aussi de manière spécifique les travailleuses et travailleurs non syndiqués. Ils et elles souffrent généralement d’un retard de 3 % de leur rémunération dans les États RTW, en plus de subir une pénalité de 2,8 et 5,3 points de pourcentage en matière de couverture par une assurance maladie et par un régime de retraite de l’employeur. Les exemples de l’Idaho et de l’Oklahoma sont particulièrement éclairants, ces deux États ayant respectivement adopté des lois RTW en 1985 et 2001. Le salaire des non-syndiqué.e.s a, depuis le passage aux lois RTW, connu une chute de 4,2 % en Idaho et de 1,7 % en Oklahoma.

En clair, les lois RTW participent à l’érosion du taux de syndicalisation et de la capacité syndicale à représenter l’ensemble des salarié.e.s d’une entreprise. Les importer au Québec ou au Canada comme le souhaitent plusieurs ne ferait alors qu’accélérer l’érosion de ce qu’il nous reste de classe moyenne.

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