Un « Québec fort » se donnerait les moyens d’éviter l’austérité
27 mars 2025
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Alors que la situation économique du Québec a changé drastiquement dans la dernière année, le ministre des Finances Eric Girard a présenté un plan budgétaire qui reprend la même recette des trois dernières décennies en matière de gestion des finances publiques. Le budget prévoit d’un côté des mesures timides pour augmenter les revenus du gouvernement, et propose de l’autre un niveau de dépenses qui plongera les services publics dans une période d’austérité. Ce faisant, il échoue à soutenir adéquatement le secteur public et à transformer l’économie pour la rendre plus autonome et plus écologique.
Un budget austère en dépit du déficit
La hausse des dépenses en santé (3,0 %), en éducation (2,2%) et dans les autres portefeuilles des services publics (1,3 %) ne permet pas de couvrir les coûts du système. Il aurait plutôt fallu une hausse minimale des dépenses de 3,8 % en santé, de 4,7 % en éducation et de 2,3 % pour les autres portefeuilles des ministères selon les calculs de l’IRIS. Comme le gouvernement n’atteint pas ces seuils, la détérioration des services publics risque de se poursuivre.
Le gouvernement avait pourtant les moyens de changer d’approche. Le déficit n’atteint un record qu’en termes absolus: avant les versements au Fonds des générations, il s’élève à 11,4 milliards de dollars, ce qui représente seulement 1,8 % du PIB du Québec, un niveau comparable à ce que l’on observe ailleurs au Canada.
Des économies de bout de chandelle et de la pensée magique
Le gouvernement a procédé à une révision du régime fiscal qui lui permettra de dégager un montant supplémentaire de… 32 millions de dollars pour l’exercice 2025-2026. Il compte engranger des revenus annuels devant atteindre à terme 1 milliard de dollars dans les années subséquentes en taxant, entre autres, les voitures électriques et en augmentant la taxation des assurances des particuliers.
Le gouvernement prévoit aussi faire des économies de plusieurs milliards de dollars par année en « optimisant » ses dépenses et en « transformant l’État ». Ces mesures semblent surtout relever de la pensée magique étant donné que depuis la mise en place d’approches de gestion inspirées de la nouvelle gestion publique, le gouvernement s’imagine sans cesse, à tort, pouvoir faire plus avec moins.
Là où il vise juste toutefois, c’est en cherchant à limiter les dépenses en sous-traitance en santé et services sociaux. Il aurait d’ailleurs pu se montrer encore plus ambitieux et étendre cette approche à l’ensemble des ministères et organismes.
Le ministre des Finances aurait aussi pu renforcer sa situation financière en identifiant de nouvelles sources de revenus. Un nouvel impôt sur le patrimoine permettrait par exemple d’aller chercher 6 milliards de dollars en revenus supplémentaires chaque année, soit deux fois plus que ce que prévoit économiser le gouvernement sur 5 ans grâce à sa révision du régime fiscal. Un retour au taux d’imposition du revenu des particuliers qui prévalaient en 2000 générerait au minimum des revenus fiscaux supplémentaires de 6,9 milliards de dollars.
Stimuler l’économie sans la transformer
C’est lorsqu’on s’intéresse aux mesures pour faire face aux menaces tarifaires américaines que l’on constate combien le ministre des Finances est en panne d’imagination. Le gouvernement consacre 1,6 milliard de dollars sur cinq ans au programme Frontière, qui accorde des prêts substantiels aux entreprises dont le chiffre d’affaires s’élève à au moins 3 millions de dollars et qui sont directement touchées par les nouveaux tarifs douaniers. Le gouvernement espère améliorer la position concurrentielle de ces grandes entreprises à l’échelle internationale et développer de nouveaux marchés. Ce faisant, il semble chercher à reconduire l’approche économique des dernières décennies, marquée par le libre-échange, mais ne fait rien pour diversifier le tissu industriel du Québec et favoriser les circuits courts, ce qui aurait permis d’accroître l’autonomie économique du Québec.
La guerre commerciale avec les États-Unis n’a pas effacé les problèmes auxquels est confronté le Québec. Le plan budgétaire du gouvernement aurait dû prévoir non seulement des mesures qui soutiennent l’économie, mais qui visent aussi à la transformer. Pour favoriser la transition écologique, il aurait pu par exemple investir davantage dans les sociétés de transport en commun et soutenir l’industrie du transport terrestre, qui compte 620 entreprises et emploie 32 000 personnes au Québec. Pour remédier à la crise du logement, il aurait pu prévoir de nouveaux investissements pour la construction de logements sociaux et pour la conversion de logements privés en logements sociaux ou communautaires.
Le gouvernement n’a pas perdu le contrôle sur ses dépenses. Il gagnerait toutefois à prendre le contrôle de ses revenus et à se donner de nouveaux leviers pour mieux intervenir dans un contexte économique incertain.
Cet article est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 26 mars 2025 du Devoir