La hausse des dépenses militaires : un cul-de-sac économique et environnemental
29 octobre 2025
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Alors qu’il a été élu avec le mandat de tenir tête à Trump, Mark Carney ne cesse d’accumuler les concessions envers le président américain. Parmi ces concessions, celle qui aura sans doute les répercussions les plus néfastes pour la population canadienne est l’augmentation drastique des dépenses militaires, une demande répétée de l’administration américaine. Le premier ministre du Canada s’est en effet engagé à atteindre dès cette année la cible de 2% fixée par l’OTAN, une promesse qui coûtera 9 milliards de dollars aux Canadien·ne·s. Sans avoir consulté la population, il a aussi donné son acquiescement à la nouvelle cible de l’OTAN, soit de consacrer 5% du PIB à l’armée et aux infrastructures connexes d’ici 2035. Cela pourrait représenter à terme des dépenses annuelles de 150 milliards de dollars, ce qui équivaut à environ 16% du budget fédéral.
Ces sommes astronomiques priveront assurément le gouvernement de fonds qui pourraient servir à régler les problèmes réels auxquels le Canada fait face. Déjà, le ministre fédéral des Finances a invoqué la hausse du budget militaire pour justifier des compressions majeures dans l’ensemble des ministères. Il est ironique de constater que des chroniqueurs et des chroniqueuses qui s’alarment depuis des années par rapport aux déficits fédéraux quand il s’agit de financer des programmes sociaux applaudissent aujourd’hui des dépenses faramineuses pour acheter du matériel de guerre.
Pendant ce temps, et malgré la promesse officielle de ne plus autoriser le transfert d’armes vers Israël – promesse déjà rompue puisque le gouvernement continue d’autoriser l’envoi d’équipements militaires soi-disant « non létaux » –, l’industrie militaire canadienne et québécoise utilise différents stratagèmes pour exporter du matériel de guerre qui alimente le génocide à Gaza. La région de Montréal est une plaque tournante de ces exportations et plusieurs compagnies québécoises sont impliquées, incluant CAE, dont l’IRIS dévoilait récemment les manœuvres d’évitement fiscal.
La crise écologique, sous ses multiples facettes, constitue une des plus importantes menaces à la sécurité et à la stabilité dans le monde au cours du 21e siècle. Or, l’armée contribue directement à la crise. Les équipements militaires ont un lourd bilan carbone et le ministère de la Défense est de loin l’organisme fédéral qui émet le plus de GES, une réalité qui va empirer à mesure que les dépenses militaires augmenteront. À l’échelle mondiale, les armées représenteraient environ 5,5% des émissions totales de GES (soit presque le double de l’aviation civile), une estimation prudente puisque ces émissions ne sont pas comptabilisées dans les accords sur le climat.
Même lorsqu’il n’est pas utilisé directement à des fins meurtrières, le matériel de guerre a de graves effets nocifs sur la santé des êtres humains, de la faune et de la flore, comme le montre le cas des bases militaires américaines en Corée. Un exemple parmi tant d’autres : à Maehyang-ri, une petite ville côtière sud-coréenne située près d’une base aérienne, des médecins ont évalué que le taux de plomb dans le sang des habitant·e·s était 1,7 fois supérieur au taux moyen des travailleurs et travailleuses des aciéries, une industrie où la contamination au plomb est très fréquente.
À Québec, le gouvernement Legault espère que la province récoltera une part des contrats militaires. Sans aucun débat public, il a fait de l’industrie militaire une de ses trois priorités économiques. Il a d’ailleurs incité Investissement Québec et la Caisse de dépôt et placement à lever les restrictions leur interdisant d’investir dans la production d’armes. Des entreprises entretiennent l’espoir de s’enrichir grâce à cette pluie de dépenses militaires et il ne serait pas étonnant que de riches industriels en profitent. Toutefois, rien n’indique que ces investissements dans l’armement seront réellement avantageux pour l’économie québécoise.
Les études sur les retombées économiques des dépenses militaires ont en fait tendance à montrer que ces dernières nuisent à la croissance économique à long terme, notamment parce qu’elles détournent des ressources qui auraient pu être investies dans des secteurs bénéfiques et structurants comme la santé, l’éducation ou la recherche scientifique. À cela s’ajoute le fait que les plus gros joueurs de l’industrie militaire sont souvent des entreprises américaines. Hausser les dépenses militaires, c’est donc en partie subventionner des compagnies américaines, un drôle de choix en contexte de guerre commerciale avec les États-Unis.
L’augmentation des dépenses militaires apparaît donc comme un cul-de-sac économique et environnemental. Et si l’on se dotait plutôt d’une politique industrielle qui répond réellement aux besoins de la population et qui prend au sérieux la crise écologique? Dans un prochain article, nous aborderons des exemples de reconversion d’entreprises militaires vers la production de biens socialement utiles.