Budget du Québec 2025: un « Québec fort » se donnerait les moyens d’éviter l’austérité
25 mars 2025
Eric Girard déposait aujourd’hui son 7e plan budgétaire. Face à l’incertitude économique due entre autres aux tarifs douaniers imposés par le gouvernement américain, les dépenses prévues sont loin d’être suffisantes pour soutenir l’économie québécoise et pour préserver la qualité des services publics dont la population québécoise a besoin. Le budget s’appuie sur un scénario de croissance économique modeste. Il pourrait donc être révisé substantiellement en cas de récession.
Cadre budgétaire
Les revenus du gouvernement québécois s’élèveront à 156,3 G$ en 2025-2026 et les dépenses à 165,8 G$, dont 9,7 G$ iront au service de la dette. Les dépenses incluent également une « provision pour éventualités » de 2 G$. Le « déficit comptable » s’élève par conséquent à 11,4 G$ ou à 1,8 % du PIB.
Il est frappant de constater que le gouvernement caquiste, à la suite du gouvernement fédéral d’ailleurs, s’époumone maintenant à minimiser la taille du déficit en expliquant qu’il est bien loin d’un niveau record lorsqu’on le compare – comme il se doit – à la taille de l’économie (PIB). C’est exactement ce que l’IRIS s’évertue à faire année après année… Effectivement, le déficit a atteint un niveau supérieur à 3% dans les années 1990 et à 4% dans les années 1980. Donc, le déficit actuel n’est pas un record et son impact sur la dette du Québec n’a rien de préoccupant. Rappelons que, malgré ce déficit, la dette nette ne représente que 40,4% du PIB, alors que cette proportion s’élevait à 52,6% il y a 10 ans.
Il y a fort à parier toutefois que les grands médias ne retiendront que le chiffre de 13,6 G$, qui correspond au déficit du Québec après les versements au Fonds des générations (2,4 G$).
On attendait aussi de savoir si le gouvernement respecterait la lettre de la Loi sur l’équilibre budgétaire en présentant son plan de retour au déficit zéro d’ici 2029-2030. Le plan est drastique et – s’il est appliqué – s’accompagnera de coupes majeures dans les services à la population. Il implique de limiter la hausse des dépenses de portefeuille du gouvernement québécois à 1,7 % en moyenne sur cinq ans. Pour 2025-2026, l’inflation anticipée est pourtant de 2,25 %. En outre, un rapide coup d’œil aux statistiques budgétaires permet de voir que l’évolution moyenne des dépenses dans les dernières décennies s’élève à plus de 4 %. Par conséquent, le plan présenté est insoutenable, à moins de sortir la tronçonneuse et détruire les services à la population.
Mais sera-t-il appliqué, ce plan ? Au huis clos des médias, le ministre Girard s’est empressé d’affirmer en réponse à un journaliste qu’en cas de récession, le gouvernement ne sera pas tenu d’appliquer son plan de retour à l’équilibre.
Chose certaine, le gouvernement est déjà entré dans une phase austéritaire. C’est d’ailleurs ce que semblait justifier la présidente du Conseil du trésor Sonia Lebel au dépôt du budget en affirmant que le gouvernement caquiste passait à une « nouvelle phase » après avoir augmenté les dépenses de l’État dans une première phase. « L’ensemble du gouvernement va devoir se mobiliser pour respecter les enveloppes budgétaires », a précisé Mme Lebel.
L’IRIS a calculé – de façon conservatrice – les augmentations de dépenses requises pour maintenir les services à la population en santé, en éducation et dans les autres portefeuilles du gouvernement québécois. Dans les trois cas, les crédits accordés à ces postes budgétaires pour l’exercice 2025-2026 sont inférieurs à l’augmentation des coûts du système :
Examen du régime fiscal et des dépenses budgétaires
Le gouvernement fait grand cas de son examen des mesures fiscales qui doit faciliter le retour à l’équilibre budgétaire. Il y consacre une section entière dans le plan budgétaire. Or, l’éléphant a finalement accouché d’une souris et les mesures sont peu significatives. Elles s’élèvent à un maigre trois milliards sur cinq ans. L’une des mesures les plus importantes est « l’uniformisation » de la taxe sur les assurances afin qu’elle soit équivalente à la TVQ. Cette uniformisation rapportera 300M$ par année. La taxation des véhicules électriques – afin que leurs propriétaires contribuent au financement des routes et du transport en commun comme les véhicules à essence – rapportera 160M$ par année en 2029-2030. Une douzaine d’autres mesures rapporteront des sommes inférieures à 1M$.
Le gouvernement espère par ailleurs réaliser des économies substantielles en « améliorant l’intervention gouvernementale dans les activités des ministères et des organismes ». Pour ce faire, il compte « plafonner les tarifs de la main-d’œuvre indépendante dans le secteur de la santé et des services sociaux » afin d’économiser près de 600M$ par année. Le gouvernement a raison de vouloir faire des économies en s’émancipant du recours au privé, et les économies pourraient être immenses si on appliquait cette approche à l’ensemble des portefeuilles du gouvernement, mais il faudra qu’il montre plus de résolution à y parvenir que ce qu’il a fait jusqu’à maintenant.
Du reste, les autres mesures qui doivent permettre au gouvernement d’économiser plusieurs milliards pourraient s’avérer relever de la pensée magique comme chaque fois que l’État prétend pouvoir faire soudainement plus avec moins, comme il l’a fait depuis la mise en place des politiques de nouvelle gestion publique dans les dernières décennies. Ainsi, « l’actualisation de programmes » doit permettre des économies de plus de 400M$ par année, « l’optimisation de dépenses administratives » plus de 1,3 G$ par année, et la « transformation de l’État » plus de 600M$.
Si l’on voulait augmenter les revenus de manière significative, il serait plus judicieux d’ajouter des paliers d’imposition pour améliorer la progressivité du régime fiscal québécois ou encore de mieux imposer le patrimoine des ménages nantis, dont la valeur a considérablement augmenté dans les dernières décennies.
Nouvelles sources de revenus
Une partie du déficit aurait pu être évitée si les gouvernements successifs n’avaient pas baissé l’impôt des particuliers depuis 25 ans. En effet, en combinant les paliers provincial et fédéral, les Québécois·es paient aujourd’hui 14 G$ de moins que si le taux d’imposition était le même qu’il y a 25 ans. Il s’agit d’une perte fiscale annuelle de 6,9 G$ pour le gouvernement du Québec.
Le budget Girard prévoit que la hausse du taux d’inclusion des gains en capital permettra de dégager des revenus additionnels de 1,8 G$ sur cinq ans. Or, le gouvernement québécois maintient son intention d’harmoniser le traitement fiscal des gains en capital avec celui du régime fiscal fédéral. Si le prochain gouvernement fédéral décide d’annuler la hausse du taux d’inclusion des gains en capital, comme l’ont évoqué le chef libéral fédéral et le chef conservateur, le gouvernement québécois risque de se priver de ces revenus additionnels.
Il n’est jamais trop tard pour corriger la situation ou pour percevoir de nouvelles sources de revenus. L’IRIS calculait récemment qu’un nouvel impôt sur le patrimoine des ménages appartenant au 10 % les mieux nantis permettrait de générer des revenus supplémentaires d’environ 6 G$ par année pour l’État québécois.
Nous avons aussi estimé en prenant 2019 comme année de référence que si la croissance des cotisations des entreprises au Fonds des services de santé (FSS) avait été équivalente à la croissance de leurs revenus imposables ou de leurs bénéfices nets, le gouvernement aurait pu consacrer au système de santé et de services sociaux des revenus annuels supplémentaires de 5,1 G$ à 10 G$.
Services publics
Ce budget prétend « améliorer les services offerts aux Québécois ». Il aurait été plus juste d’affirmer qu’il prépare la population québécoise à une nouvelle phase austéritaire. Bien qu’il n’annonce pas cette année de compressions majeures en éducation, en santé ou dans les services sociaux, les montants octroyés ne sont pas à la hauteur des besoins et laissent anticiper une dégradation dans l’accès, la qualité et l’équité des services offerts à la population.
Santé
En santé, le gouvernement annonce son intention de réduire le temps supplémentaire obligatoire, d’implanter l’autogestion des horaires du personnel, de limiter le recours aux agences de placement, de favoriser le soutien à domicile et d’améliorer la première ligne. Malheureusement, le gouvernement offre peu de détails indiquant comment il entend concrétiser ses intentions et demeure silencieux quant aux montants précis nécessaires pour les réaliser.
Le gouvernement prévoit par ailleurs réaliser des économies en limitant le recours aux agences privées de placement. Comme l’a montré l’IRIS dans plusieurs publications et comme l’ont montré plusieurs études à travers le monde, les services de santé offerts par le privé coûtent généralement plus chers que les services offerts par le réseau public. S’il souhaitait réellement réduire les coûts en santé, le gouvernement pourrait aller jusqu’au bout en se sevrant du privé.
Enfin, le gouvernement dit vouloir accroître la sécurisation culturelle des personnes autochtones dans le réseau de la santé et des services sociaux. Il consacre une somme de 10 M$ par année à cette fin, un montant minime compte tenu de la discrimination systémique qui existe dans le système de santé. Soulignons par ailleurs que le gouvernement ne pourra pas réellement accroître la sécurisation culturelle s’il refuse de reconnaître le racisme systémique et de respecter le principe de Joyce, deux principes au cœur des revendications des communautés autochtones.
Éducation
Du côté de l’éducation, le gouvernement caquiste souhaite notamment consolider la francisation en milieu scolaire et développer l’application de l’intelligence artificielle en éducation. Cela risque de s’avérer fort difficile dans un contexte où il a lui-même déstabilisé les réseaux de francisation par des compressions l’an dernier. De plus, l’utilisation de l’intelligence artificielle en éducation est loin de faire consensus : elle exige qu’ait lieu un débat public préalable à propos de ses conséquences et de ses répercussions potentielles. On peut d’ailleurs souligner que le milieu de l’intelligence artificielle est actuellement dominé par des acteurs privés dont les intérêts pécuniaires sont difficilement compatibles avec ceux du système d’éducation.
Environnement
En continuité avec les budgets précédents, le budget Girard 2025 n’accorde qu’une place marginale à l’environnement. Pour l’année 2025-2026, les dépenses de portefeuille du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs sont pratiquement identiques à celles de 2024-2025, ce qui correspond à une baisse des dépenses réelles lorsque l’on tient compte de l’inflation. Un montant moyen de 19 M$ par année est prévu pour renforcer l’adaptation aux changements climatiques, ce qui paraît dérisoire par rapport à l’ampleur de la crise climatique.
Transport
En contexte de guerre tarifaire avec les États-Unis, on constate que la dépendance des Québécois·es à l’égard de l’auto n’est pas seulement néfaste sur le plan environnemental; elle nuit aussi à la balance commerciale du Québec. En 2024, à elles seules, les importations vers le Québec de camions légers, de fourgonnettes et de véhicules sport, sans moteur électrique, totalisaient plus de 11 G$. Environ la moitié de ces importations provenaient des États-Unis.
Il est essentiel d’accroître le financement du transport en commun pour réduire la dépendance à l’automobile. Or, le plan québécois des infrastructures prévoit accroître les investissements en transport collectif de 713 M$, soit moins que les sommes additionnelles consacrées au réseau routier (1,3 G$). En prenant un pas de recul, on peut constater que, depuis 5 ans, le gouvernement Legault a consacré au réseau routier 9,5 fois plus d’investissements additionnels aux routes qu’au transport collectif (9 G$ contre 954 M$).
Les choix du gouvernement Legault en matière de transport sont symptomatiques de son absence de vision globale de la transition écologique. Sans projet ambitieux de transition écologique, ce sont les personnes vulnérables ainsi que les travailleurs et les travailleuses qui paieront les frais de la crise climatique.
Politiques économiques et industrielles
Cette absence de vision d’avenir paraît flagrante lorsque l’on s’intéresse aux mesures pour faire face aux menaces tarifaires américaines. Le gouvernement Legault consacre 1,6 G$ au programme Frontière, qui accorde des prêts substantiels aux grandes entreprises qui sont significativement touchées par les nouveaux tarifs douaniers. Ce programme a des conditions d’admissibilité qui reflètent l’étroitesse de la vision économique du gouvernement. Pour y être admissible, une entreprise doit avoir un chiffre d’affaires d’au moins 3 M$ et être directement assujettie aux nouveaux tarifs douaniers.
Cela exclut donc les petites entreprises ainsi que toutes les entreprises qui n’exportent pas de marchandises, mais qui seront à coup sûr affectées par les effets collatéraux d’une baisse des exportations. On sait par ailleurs que dans plusieurs régions du Québec, la viabilité des industries exportatrices, dont la main-d’œuvre est majoritairement masculine, est soutenue par un réseau d’entreprises et de services publics qui emploient majoritairement des femmes. Le gouvernement soutient les premières sans tenir compte des secondes.
Logement
Alors que la crise du logement se poursuit et s’amplifie, le budget Girard ne prévoit aucun nouvel investissement pour la construction de logements sociaux ni pour la conversion de logements privés en logements sociaux ou communautaires.
Notons que 42 750 ménages étaient inscrits sur une liste d’attente pour un logement social et abordable au Québec en 2022. Plus de la moitié d’entre eux y étaient depuis deux ans ou plus. Le nombre de logements sociaux a eu tendance à stagner depuis 20 ans.
Culture
Le milieu des arts et de la culture, à travers la Grande mobilisation des artistes du Québec, demande « le doublement du budget permanent du CALQ afin qu’il passe de 100 millions $ à 200 millions $ ». La mobilisation semble avoir au moins partiellement porté fruit, puisque le budget prévoit hausser le financement du CALQ de 63,6 M$ par année.
Services de garde
Bien que le gouvernement affirme soutenir l’accessibilité aux services de garde en investissant 170 M$ sur cinq ans dans ce secteur, un regard plus attentif permet de relativiser cette affirmation. En effet, le Plan québécois des infrastructures prévoit une baisse de 166 M$ sur dix ans des investissements pour les services de garde éducatifs à l’enfance (de 906,2 M$ à 739,8 M$).
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En somme, le gouvernement Legault choisit de faire payer à la population le prix de ses mauvaises décisions passées. Pris avec un contexte économique incertain, il vient en aide au secteur privé, mais s’abstient de proposer une politique industrielle cohérente qui permettrait au Québec de réduire sa dépendance envers les exportations.
Pendant ce temps, il laisse le secteur public faire face à des problèmes sociaux complexes avec des moyens insuffisants. Bonifier les services publics aurait pourtant pour effet de soulager la population en plus de protéger des centaines de milliers de travailleurs et de travailleuses face à un éventuel choc économique. Autrement dit, il réagit au contexte de crise comme l’ont fait bien des gouvernements auparavant: en privilégiant des industries majoritairement masculines, et en pénalisant des secteurs majoritairement féminins.