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Et si le travail était la solution au problème du travail?

3 septembre 2013

  • Julia Posca

La Fête du travail, qui était célébrée hier dans plusieurs pays dont le Canada, est censée souligner l’apport des travailleurs et des travailleuses à la société. Lorsqu’on réfléchit à la condition salariale aujourd’hui (stagnation des salaires, emplois précaires, épuisement professionnel, etc.), on a pourtant l’impression que l’ambiance n’est pas à la fête. Tant le droit au travail que les droits des travailleurs et travailleuses sont mis à mal par les transformations qui sont en cours dans l’économie depuis les années 1970 et les attaques que doivent subir les salarié.e.s sont autant d’ordre matériel que symbolique.

D’une part, le pouvoir de négociation des travailleurs et des travailleuses recule à mesure qu’ils et elles se soumettent, de manière résignée, aux « contraintes » de l’économie mondialisée. Les conditions salariales ont alors tendance à se détériorer, faisant de plus en plus rimer travail avec insécurité et précarité (à ce sujet, voir notamment cette étude de l’IRIS sur les inégalités et cette autre sur la productivité). Mais d’autre part, le discours économique dominant affirme que ce sont les entreprises qui créent la richesse. Cet argument permet entre autre aux gouvernements de mettre en place en priorité des politiques économiques qui viennent en aide aux investisseurs. Le Nord pour tous de Pauline Marois (l’ancien Plan Nord de Jean Charest) est un exemple de politique économique conçue pour attirer des capitaux qui vont employer de la main-d’œuvre de manière purement accessoire. Les salarié.e.s sont enjoints pour leur part de s’adapter au marché et d’accepter les conditions établies par les entreprises dans l’espoir de trouver un emploi ou de sauver celui qu’ils occupent.

Que faire face à cette situation? Un récent ouvrage du sociologue français Bernard Friot propose une réflexion sur le salariat qui permet de dépasser cette contrainte à l’adaptation pour mieux penser l’émancipation des travailleuses et des travailleurs. Dans L’enjeu du salaire, essai publié en 2012 chez La Dispute et dont je me contenterai ici de présenter la thèse principale, Friot déconstruit et critique l’acception courante du travail de manière à penser une sortie du capitalisme qui s’appuierait sur les institutions du salariat.

Le rapport salarial dans les sociétés capitalistes

Dans une société capitaliste comme la nôtre, les capitalistes désignent ceux qui ont la capacité d’acheter de la force de travail (la main-d’œuvre) pour produire des marchandises dont la vente génère un profit, alors que le travailleur est celui ou celle qui est obligé d’échanger son travail contre un salaire. Le salaire correspond alors à la valeur de la marchandise « force de travail » et il représente pour le ou la salarié.e son pouvoir d’achat, c’est-à-dire sa capacité d’échanger des biens et des services contre de la monnaie. Le travail se réduit ainsi dans les sociétés capitalistes aux activités rémunérées qui confèrent un pouvoir de consommation. Pensons par exemple au fait que ni une aidante naturelle ni un retraité qui garde ses petits-enfants n’est considéré comme travailleur dans le contexte actuel. Seuls les détenteurs du capital (que Friot appelle « propriétaires lucratifs ») ont le pouvoir de déterminer ce qui constitue du travail en rémunérant certaines activités, mais aussi de décider ce qui sera produit.

Cette organisation de la production des marchandises (qui inclut autant les biens que les services) est à l’origine d’une inégalité que le mouvement syndical a historiquement cherché à réduire. Plusieurs propositions ont aussi été élaborées pour atténuer ou mettre fin à cette subordination du travail par le capital : propriété collective des moyens de production, meilleur partage de la plus-value entre salaire et profit, abolition du travail. Friot défend pour sa part l’idée étonnante selon laquelle il faut plutôt opposer aux institutions du capital (propriété lucrative, marché du travail, valeur-travail et crédit bancaire) les institutions même du salariat, soit la qualification et la cotisation.

La révolution du salaire

La qualification, c’est la capacité de toute personne à produire de la valeur économique. Inversement, la valeur devrait donc être déterminée par la qualification, et non par la quantité de travail contenue dans une marchandise, comme c’est le cas dans le cadre de l’économie capitaliste. C’est alors en vertu de la qualification (comme c’est le cas par exemple dans la fonction publique ou pour les professions dites libérales) que les travailleuses et travailleurs devraient toucher un salaire tout au long de leur vie. C’est aussi pourquoi c’est à elles et eux que doit être confiée la « direction de la production de la valeur économique », ou autrement dit que doit revenir le privilège de décider de ce qui sera produit et comment. Il y a donc un enjeu de souveraineté populaire derrière ce projet de « convention salariale du travail ».

Selon cette nouvelle convention salariale, toute la valeur ajoutée résultant de l’activité économique serait attribuée sous forme de cotisation :

  • la cotisation salaire, qui rémunère chaque travailleuse et travailleur qualifié de l’âge de la majorité jusqu’à la fin de sa vie;
  • la cotisation économique, qui est allouée aux investissements productifs;
  • la cotisation sociale, qui sert au financement d’activités non-marchandes tels que les soins de santé ou l’éducation.

Encore une fois, il s’agit ici de généraliser le modèle (déjà existant) de la sécurité sociale ou de la pension de vieillesse. Ce faisant, le profit serait effacé de l’équation de la même manière que disparaîtrait la classe des propriétaires lucratifs.

Le travail commence

Pour véritablement améliorer la condition salariale, le travail ne doit plus servir la croissance du capital, mais plutôt la reproduction de la vie et de la société. Instaurer la convention salariale du travail est la solution que défend Friot pour y parvenir. Cette proposition est fort originale et on l’a réduite ici à sa plus simple expression, en plus de ne pas dire un mot sur les autres aspects de la critique du capitalisme qui sont présentés dans L’enjeu du salaire (par exemple l’inutilité du crédit bancaire). Elle n’est évidemment pas aussi simple à appliquer qu’aimerait le croire l’auteur, entre autres à cause de l’état du rapport de force des travailleuses et travailleurs et du poids de l’idéologie qui nous pousse à défendre l’ordre actuel des choses plutôt qu’à le remettre en question. De plus, elle suscite autant de questions qu’elle offre de réponses, notamment quant à la division du travail ou à la coordination de la production. Mais à l’heure où l’économie est vécue comme une puissance qui s’impose à nous et que les travailleurs et les travailleuses doivent subir à tout prix, même celui de l’insécurité, affirmer que l’économie est avant tout le résultat de notre travail est sans contredit un changement de perspective qui est plus que bienvenu pour penser une alternative au système actuel.

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