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En santé, une refondation sans toucher aux fondations?

9 février 2022

Lecture

4min

  • Anne Plourde

Face aux défaillances majeures du réseau de la santé et des services sociaux constatées depuis le début de la pandémie de COVID-19, le gouvernement Legault s’est récemment engagé à réaliser une véritable « refondation » du système de santé. Si une telle promesse suscite l’espoir de changements radicaux pour un réseau qui en a bien besoin, les informations disponibles jusqu’à maintenant quant à la nature de cette nouvelle réforme laissent présager d’amères déceptions.

Il est aujourd’hui clairement établi par de nombreux rapports et  enquêtes – dont plusieurs ont été publiés ou menés avant que la COVID-19 ne déferle sur le Québec – que la réforme centralisatrice imposée en 2015 par l’ancien ministre libéral de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, a fortement miné la capacité du réseau à remplir sa mission. Les conséquences catastrophiques de cet affaiblissement ont été telles durant la pandémie qu’il apparaît désormais incontournable de revoir en profondeur l’organisation et les pratiques au sein du système de santé.

En cela, parler d’une nécessaire refondation du réseau n’est pas exagéré. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que la réforme proposée par le gouvernement ne permettra aucunement d’ébranler les « fondations » délétères du système de santé actuel, construites durant plusieurs décennies de politiques et de réformes néolibérales, dans lesquelles la réforme de 2015 plongeait elle-même profondément ses racines.

La nouvelle réforme doit s’articuler autour de quatre axes, à savoir les ressources humaines, la disponibilité des données, les systèmes informatiques et les infrastructures.

Notons d’abord que malgré la promesse faite à l’automne dernier de réaliser une « vaste décentralisation » du réseau, la remise en question de la structure fortement centralisée et bureaucratique héritée des dernières décennies ne fait pas partie des axes de la réforme proposée. À cet égard, il est révélateur que cette « refondation » soit conçue dans les officines du ministère plutôt qu’à travers une vaste consultation de la base, c’est-à-dire des citoyen·ne·s et des travailleuses et travailleurs sur le terrain. Autrement dit, cette réforme est menée dans une logique top-down typique de la gestion néolibérale qui mine le réseau depuis si longtemps. On apprenait d’ailleurs la semaine dernière que c’est Daniel Desharnais, sous-ministre adjoint à la Santé et ancien bras droit de Gaétan Barrette, qui est chargé de mener la réforme souhaitée par le gouvernement caquiste. 

Si on souhaite un système de santé et de services sociaux véritablement centré sur les besoins de la population et ancré au sein des communautés locales, ce sont pourtant les actrices et ces acteurs de la base qui devraient justement constituer les nouvelles « fondations » du réseau. Concrètement, cela signifierait par exemple de recréer les instances démocratiques qui existaient dans les CLSC, les CHSLD et les hôpitaux avant les réformes néolibérales des années 2000. Nommer d’en haut des gestionnaires locaux dans les CHSLD est largement insuffisant.

En ce qui concerne plus directement les quatre axes de réforme choisis par le gouvernement, on reste avec l’impression que celui-ci ne s’attaque pas aux problèmes de fond et qu’il risque en fait de rater la cible. Ainsi, investir dans les infrastructures est peut-être nécessaire, mais la construction de nouveaux hôpitaux et de maisons des aîné·e·s ne fera rien pour diminuer le caractère hospitalo-centrique du réseau et pour répondre au désir des personnes en perte d’autonomie qui souhaitent avant tout pouvoir rester chez elles le plus longtemps possible. C’est d’investissements majeurs dans la première ligne et d’un virage massif vers les services de soutien à domicile dont le système de santé a avant tout besoin.

On comprend bien sûr la volonté d’améliorer la circulation de l’information au sein du réseau en facilitant l’accès aux données du terrain pour le ministère et en uniformisant les systèmes informatiques. De même, on ne peut qu’être d’accord avec le fait que les ressources humaines doivent être un des principaux fondements du système de santé et de services sociaux.

Toutefois, une priorité à cet égard devrait être de redonner aux travailleuses et aux travailleurs du système sociosanitaire leur pleine autonomie professionnelle et de les libérer des modes de gestion autoritaires et déshumanisants qui, en plus d’entraîner une démotivation et une perte de sens au travail, les musèlent et les empêchent de dénoncer les problèmes constatés sur le terrain, privant ainsi la population, le ministère et les élu·e·s d’informations cruciales sur la qualité et la sécurité des services.

La pandémie de COVID-19 a révélé à quel point les problèmes du système sociosanitaire sont nombreux et profonds. Le reconstruire sur des bases solides ne pourra pas se faire sans en ébranler les fondations malsaines façonnées au fil des réformes néolibérales qui ont ponctué son histoire.

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8 comments

  1. Oui décentraliser, oui prenxre un vfai virage première ligne mais surtout prendre le virage prévention afin de réduire les besoins avec une population en meilleure santé, plus résiliente face aux maladies. Sinon avec le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques dues à la toxicité des polluants de toutes sortes dans l’environnement, on ne s’en sortira pas!

  2. Tout à fait exact , pas de refondation sans retour a une première ligne locale et communautaire , avec une imputabilité près des services ( subsidiarité), plus large que la logique des trajectoires de soin qui ne sont que des mécanismes garantissant l’optimisation de la business technocratico-médicale

  3. Très bonne analyse. Je crois personnellement que l’implication des gens proches de la réalité du milieu – milieu qui peut être si différent d’une région à l’autre, d’une ville, d’un village à l’autre – est primordiale dans la compréhension et la définition des besoins de l’ensemble de leur population. Et qui plus est avec de véritables pouvoirs décitionnels surtout en regard du maintien à domicile et tous les services s’y rattachant. Vivement la prise en charge citoyenne pour LEUR SANTÉ, LEUR QUALITÉ DE VIE.

  4. Les fondations du système de santé du Québec ont été fortement lézardées il y a 25 ans.
    Les trous causés par les mises à la retraite massives de 1997 n’ont jamais été comblés.
    Les coupures qui ont suivi, orchestrés par les universitaires uniquement experts en EXCEL, ont terminé le travail de sape.

    Résultat: Il y a plus de délais, de douleurs, de décès et de drames personnels que depuis la fin des années 1960.

  5. Je souhaite fortement que votre analyse porte des fruits pour une véritable refondation du système de santé, pour un système humain et non déshumanisé et déshumanisant, public pour tous sans discrimination et non de plus en plus privé ou en voie de privatisation sous les prétextes des coûts, du manque de personnel, etc. Comment se fait-il que “le privé” en trouve du personnel, lui?
    Je crois que ce qui est recherché sans le dire par le Gouvernement et sans en avoir reçu légitimement le mandat de la population, c’est ni plus ni moins que la privatisation du système de santé en conservant un tout petit système public tout rapetissé pour les moins favorisés de la société. Comment se fait-il que l’on permette l’ouverture d’une salle d’opération complètement privée toute neuve toute équipée à la fine pointe de la technologie et avec du personnel pour y travailler alors que les hôpitaux publics en manquent? Cherchez l’erreur! Et pendant que “le privé” se développe à vive allure, notre Gouvernement encourage la population à aller se faire soigner, diagnostiquer, ou encore faire effectuer les prélèvements au privé, parce qu’au public on ne réussit pas à “baisser” les listes d’attente, faute de personnel? Tout est en place mine de rien pour que d’ici quelques années LE système de santé québécois le plus important soit celui du privé! Payé par qui? Par nous, les citrons que l’on presse à partir des impôts collectés! Et les subventions de toutes sortes. Vive la démocratie!

  6. Entre 1995 et 2010, j’ai assisté au démantèlement du réseau via l’abolition de dizaines de postes à temps plein au profit de multiples postes à temps partiel afin de réaliser des économies au niveau des avantages sociaux sans tenir compte des impacts sur l’efficacité des services et la motivation du personnel.

  7. Que je partage votre opinion : les CLSC étaient une solution efficace qui auraient dû se consolider au lieu d’être pratiquement abandonnée. Il est encore temps …

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