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Employés pauvres, pdg millionnaires

5 Décembre 2019

  • Julia Posca

À Montréal, un supermarché a ouvert ses portes à quelques semaines de Noël. Aussitôt le magasin inauguré, on a vu affluer à la soupe populaire du coin des employés du nouveau commerce venus profiter des repas à prix modiques qu’on y sert chaque jour. Cette anecdote, loin d’être anodine, illustre avec force la situation de milliers de travailleurs et de travailleuses qui vivent dans la pauvreté malgré le fait qu’ils occupent un emploi.

En 2017, la moyenne du salaire horaire versé aux employés à temps plein pour les caissiers œuvrant dans le secteur du commerce de détail au Québec était de 12,80$. Pour être viable, c’est-à-dire pour atteindre un niveau permettant tout juste de couvrir les besoins de base, la rémunération d’un travailleur ou d’une travailleuse aurait dû s’élever à 13,15$ l’heure en moyenne au Québec cette année-là.

Hausser les salaires dans le commerce de détail permettrait évidemment d’améliorer le sort de milliers de gens. Une telle mesure constituerait aussi, comme on l’a souligné auparavant, un moyen efficace de recruter et de fidéliser le personnel alors que le marché de l’emploi est marqué depuis quelques années déjà par une rareté de la main-d’œuvre. Les caissiers sont parmi les 25 professions qui affichaient le plus grand nombre de postes vacants au Québec au 2e trimestre de 2019, tandis que les magasins d’alimentation figuraient parmi les 10 industries ayant le plus grand nombre de postes vacants.

Or, on a appris récemment que le groupe de supermarchés et de pharmacies Metro misera plutôt sur les caisses en libre-service pour faire face à ce problème persistant. À défaut de parvenir à embaucher du nouveau personnel, l’entreprise prévoit doubler son nombre de magasins dotés de telles caisses. Offrir des salaires plus décents à ses employés ne semble donc pas être une option pour l’entreprise qui, avec Sobeys, Loblaws et Wal-Mart, domine le secteur des magasins d’alimentation au Québec.

La décision a de quoi étonner. Suite à l’acquisition de Jean Coutu par Metro en 2018, les actionnaires avaient en effet décidé de récompenser le pdg Éric La Flèche en faisant presque doubler sa rémunération, qui est passée de 3,5 millions de dollars à 6,6 millions de dollars. Comme le rapportait à l’époque le Journal de Montréal, « “En reconnaissance de sa contribution à la transaction”, le dirigeant a eu droit à un “octroi spécial” de 412 000$ en actions du détaillant […]. À cela s’est ajouté pour plus de 1 million $ d’actions qui lui ont été attribuées en vertu du “régime d’intéressement” habituel. […] Le conseil d’administration de Metro a également cru bon de bonifier le régime de retraite de M. La Flèche. Celui-ci aura désormais droit à une pension de 1 million $ par année s’il reste en poste jusqu’à l’âge de 63 ans, contre 750 000 $ auparavant. » Résultat : le salaire du pdg de Métro était 354 fois plus élevé que celui de l’employé moyen de la chaîne de supermarchés en 2018.

Alors qu’on justifie généralement les rémunérations exorbitantes que touchent les hauts dirigeants comme M. La Flèche par la nécessité d’attirer les meilleurs candidats et de les retenir, on n’applique jamais cette logique aux salariés au bas de l’échelle. Force est de constater que les grandes entreprises ont les moyens de bonifier les conditions salariales de leurs employés, mais elles choisissent volontairement de ne pas le faire.

Pendant ce temps, le phénomène des travailleurs pauvres persiste dans les sociétés riches comme le Québec. Le Bilan faim 2019 montre que 13,5% des personnes âgées de 18 à 64 ans qui ont fréquenté une banque alimentaire cette année occupaient un emploi. Par-delà la générosité qui s’exprime année après année durant la période des Fêtes, il faudra revoir de fond en comble les objectifs et l’organisation de notre économie pour que cessent de se reproduire de telles inégalités.

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