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Élections fédérales et assurance médicaments : les leçons du « modèle québécois » public-privé

12 septembre 2019

  • Anne Plourde

Un des enjeux importants de la campagne électorale qui s’amorce sur la scène politique fédérale sera l’instauration au niveau national d’une assurance médicaments publique et universelle (AMPU). En effet, le Nouveau parti démocratique (NPD) et le Parti vert se sont engagés à mettre sur pied un tel régime, tandis que le Parti libéral envisage sérieusement de le faire. Tout indique donc que l’AMPU comptera parmi les promesses phares de trois des quatre principaux partis en lice pour le pouvoir. Or, la ministre québécoise de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a déjà signifié son opposition à toute intervention du gouvernement fédéral dans ce domaine, faisant valoir que le Québec jouit déjà de son propre régime d’assurance médicaments. Mais aux besoins de qui ce « modèle québécois » d’assurance répond-il?

Si le Québec est la seule province canadienne à offrir une couverture universelle d’assurance médicaments à sa population, il faut préciser que ce régime n’est pas entièrement public : il s’agit plutôt d’un modèle « hybride » en partie public et en partie privé. Or, depuis son instauration en 1997, ce modèle s’est attiré son lot de critiques. Une coalition d’organismes québécois a récemment appelé le gouvernement fédéral à ne surtout pas s’inspirer du régime en vigueur dans la province. Et alors que les grandes centrales syndicales et le milieu communautaire du Québec ont historiquement revendiqué l’instauration d’une AMPU au Québec, ils réclament désormais, de concert avec plus d’un millier d’experts de partout au pays, la création d’une AMPU au niveau fédéral. Mais pourquoi un tel rejet du « modèle québécois » d’assurance médicaments?

Le modèle québécois : un « PPP » de l’assurance médicaments

Au Québec, la couverture des médicaments d’ordonnance est obligatoire pour l’ensemble de la population, qui jouit de ce fait d’une couverture « universelle ». Cependant, seule une minorité de la population (environ 43%) est couverte par le régime public d’assurance médicaments. Le reste de la population dépend des assurances médicaments privées contractées dans le milieu de travail. En effet, les employeurs offrant une assurance maladie complémentaire à leurs employé·e·s doivent aussi obligatoirement leur offrir une assurance médicaments, et lorsqu’une telle assurance leur est offerte, les travailleuses et les travailleurs sont forcé·e·s d’y souscrire. Seules les personnes qui n’ont pas accès à une assurance privée ont accès à l’assurance médicaments publique : dans ce cas, elles doivent en fait obligatoirement y adhérer.

Comme la plupart des « partenariats publics-privés », ce modèle d’assurance médicaments se fait évidemment avant tout au bénéfice de sa partie « privée ». La logique est simple : sont assurées au privé les personnes jouissant d’un assez bon emploi – qui sont aussi, statistiquement, beaucoup moins susceptibles d’être malades (et donc beaucoup plus susceptibles d’être « rentables » pour l’industrie privée des assurances). Les personnes plus à risque de développer des maladies ou de requérir des soins (les personnes retraitées, qui sont aussi plus âgées, les personnes sans emploi, dans des emplois précaires ou peu payants ou encore les personnes assistées sociales) sont quant à elles prises en charge par l’assurance publique, évitant au secteur privé le poids financier de ces cas peu susceptibles d’être lucratifs.

Comme le soulignent les auteurs d’une étude de l’IRIS sur le sujet, c’est d’ailleurs ce qui explique qu’au moment des débats ayant mené à l’instauration du régime québécois d’assurance médicaments, « l’industrie de l’assurance rejette l’option d’une couverture universelle privée qui exigerait des assureurs qu’ils couvrent tous les citoyens en fonction d’une tarification uniforme des primes et sur une base collective, sans tenir compte de l’âge ni de l’état de santé. »

Si l’arrangement bancal finalement adopté au Québec est bénéfique pour l’industrie des assurances, c’est loin d’être le cas pour le reste de la population et pour les finances publiques. En effet, l’étude de l’IRIS a très clairement démontré les problèmes d’accessibilité et d’équité induits par le régime québécois d’assurance médicaments : à titre d’exemple, certaines personnes doivent payer jusqu’à 10 % de leur revenu annuel en primes auprès de leur régime privé obligatoire d’assurance médicaments! 

Cette même étude a aussi montré comment le modèle hybride québécois, avec ses multiples assureurs, ne permet pas à un payeur unique de s’imposer face à l’industrie pharmaceutique, empêchant ainsi le gouvernement de négocier des baisses de coûts substantielles pour les médicaments. Pour l’ensemble du Canada, on estime à plus de 11 milliards (et à plus de 3 milliards pour le Québec seulement) les économies potentielles générées de cette façon par une AMPU nationale.

Le Québec a très souvent été à l’avant-garde du pays (et même de l’Amérique du Nord) en ce qui concerne le développement de nouveaux programmes sociaux et de services publics. C’est d’ailleurs ce à quoi on réfère habituellement lorsqu’on parle du « modèle québécois ». Si, comme le prétend le gouvernement Legault, c’est son nationalisme qui le conduit à rejeter l’intrusion du fédéral dans un champ de compétence provincial, sa quête « d’autonomie » ne l’empêche aucunement d’aller lui-même de l’avant avec une AMPU québécoise comme le réclament de nombreux organismes depuis plusieurs années. Prendre de vitesse le reste du Canada et donner l’exemple sur un enjeu crucial pour le bien-être de la population, voilà une bonne manière de « redonner de la fierté » aux Québécoises et aux Québécois!

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