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L’assurance qualité au cégep (1 de 2) : qualité de l’éducation ou dérive gestionnaire?

16 septembre 2013


Ces jours-ci, les enseignantes et enseignants du collégial se mobilisent face au Conseil du Trésor qui souhaite réévaluer leur salaire à la baisse. Sans vouloir minimiser l’importance de cette nouvelle qui a créé une véritable onde de choc dans la communauté collégiale, il y a pourtant un autre dossier auquel les enseignant.e.s, et la population en général, devraient sérieusement s’intéresser : l’assurance qualité.

L’implantation de l’assurance qualité dans les cégeps du Québec débute cet automne avec une phase de validation effectuée dans quatre cégeps de la province (Sainte-Foy, Shawinigan, Marie-Victorin et André-Grasset). Cette « phase test » se conclura en septembre 2014 par une visite d’audit (visite de vérification) de la Commission d’évaluation des études collégiales (CEEC) dans chacun des quatre établissements participants. Le bilan de cette première phase permettra d’ajuster le processus d’assurance qualité avant qu’il ne soit lancé dans les autres cégeps. La CEEC prévoit ainsi une deuxième série de visites d’audit en novembre et décembre 2014 dans cinq cégeps, après quoi des groupes d’une douzaine de collèges seront visités à chaque session à partir de l’hiver 2015, suivant un calendrier déjà établi et connu des établissements d’enseignement collégial.

Il y a un an le terme « assurance qualité » était pratiquement inconnu et, encore aujourd’hui, nous disposons de bien peu d’information sur ce phénomène. Ce que nous savons de l’assurance qualité indique toutefois qu’il y a lieu de s’inquiéter.

Un bref tour d’horizon

En novembre 2012, l’IRIS publiait une étude sur les mécanismes d’assurance qualité dans l’enseignement supérieur et y montrait que « l’introduction de mécanismes d’assurance qualité au sein des universités et des collèges participe d’un processus de marchandisation de l’éducation ». L’étude soulignait notamment le fait que les critères sur lesquels est basée l’évaluation de la qualité sont surtout de nature économique plutôt que de nature académique ou pédagogique. La qualité aurait ainsi bien moins à voir avec la pertinence et le contenu de l’enseignement ou avec la compétence du corps professoral qu’avec de bonnes pratiques de gestion sur lesquelles se fonde la réputation des institutions d’enseignement. L’assurance qualité détourne donc ces institutions de leurs finalités premières.

L’assurance qualité a également été au cœur des discussions entourant le Sommet sur l’éducation supérieure qui s’est tenu en février dernier. Le consensus était loin d’être au rendez-vous (comme le montrent la présentation de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante pour la première rencontre préparatoire au Sommet et le document que la Fédération nationale des enseignants et enseignantes a fait parvenir aux syndicats du regroupement des cégeps le 19 août 2013).

C’est aussi lors de ce Sommet que la CEEC annonce l’implantation d’un processus d’assurance qualité dans les collèges québécois, puis, en mars 2013, qu’elle publie un document exposant la démarche qui débute cet automne. Comme nous le verrons, ce document intitulé Évaluation de l’efficacité des systèmes d’assurance qualité des collèges. Orientations et cadre de référence, tend à confirmer les conclusions de l’étude de l’IRIS.

Une conception gestionnaire de la qualité

Le premier constat auquel nous mène la lecture du document de la CEEC, c’est qu’on a affaire à une vision beaucoup plus administrative que pédagogique de la qualité et des moyens qui visent à la garantir. À la page 12, on peut lire que la qualité est l’ « adéquation aux objectifs, c’est-à-dire la capacité pour un établissement d’atteindre ses objectifs et de réaliser sa mission ». Dans ce contexte, la qualité ne repose pas sur des normes ou des standards pédagogiques et académiques qui seraient applicables dans tous les cégeps, mais sur les processus administratifs auxquels ils sont soumis. Chaque cégep a ici la responsabilité de déterminer ses objectifs, sa mission et de mettre en place les mécanismes par lesquels il va les réaliser, donc d’implanter son processus d’assurance qualité interne : « processus continu mis en place par un établissement pour assurer l’atteinte de ses objectifs ». Chaque cégep doit donc définir et mettre en place son système d’assurance qualité, lequel comprend différents mécanismes d’assurances qualité (des politiques, des règlements, des procédures, des outils de communication et d’évaluation, etc.), ainsi qu’un système d’information institutionnel (des moyens de recueillir les données lui permettant de témoigner de la mise en œuvre et de l’efficacité de ses mécanismes d’assurance qualité).

L’assurance qualité introduit également des changements importants quant au rôle que joue la CEEC auprès des collèges. Jusqu’ici, son mandat était essentiellement d’évaluer la qualité des programmes d’études et leur mise œuvre, ainsi que la qualité de l’évaluation des apprentissages des étudiant.e.s. À cela s’ajoute maintenant, le plan stratégique et le plan de réussite des collèges, et ce, « dans un contexte de gestion axée sur les résultats ». Le mandat de la CEEC a donc été étendu aux pratiques de gestion des collèges. Autre changement notable : son rôle ne consiste plus à juger directement de la qualité des différents objets qu’elle doit évaluer, mais à juger de la qualité des mécanismes d’assurance qualité des collèges, en se basant sur leurs rapports d’autoévaluation. Autrement dit, chaque collège évalue lui-même la qualité de son système d’assurance qualité et la CEEC évalue, pour ainsi dire, la qualité de l’autoévaluation des collèges. Le rôle de la CEEC en est donc un de métagestion.

Au-delà du fait qu’il est facile de se perdre à travers tout ce jargon administratif, certaines difficultés méritent d’être soulevées. Si le document explique bien les changements administratifs qu’implique l’implantation de l’assurance qualité dans les cégeps, on ne parvient pas à connaître précisément les effets que cela aura sur le travail des enseignant.e.s. Comme le souligne l’IRIS, les enseignant.e.s peuvent légitimement craindre une augmentation de leurs tâches administratives déjà croissantes. On peut aussi s’interroger sur les coûts qu’entraîneront ces nouvelles pratiques de gestion. Ne serait-il pas plus profitable pour la qualité de l’éducation d’injecter ces ressources directement dans l’enseignement, plutôt que dans la création et la gestion d’un nouveau système administratif ? Bref, le problème est qu’on comprend mal comment cet appareil bureaucratique complexe est censé améliorer la qualité de l’enseignement, puisque le processus dont il est question s’éloigne nettement de la « réalité de la classe » et des préoccupations des enseignant.e.s. Dans la deuxième partie de ce texte, on s’intéressera à la marchandisation de l’éducation et à la technocratisation de l’enseignement mise de l’avant par les orientations et le cadre de référence d’implantation de l’assurance qualité dans les cégeps.

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