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Six observations sur Uber

18 février 2016

  • Guillaume Hébert

1- Une image qui séduit

Uber, c’est un joli nom. [You-beur], un peu moins. Mais s’il faut concéder une chose à cette puissante entreprise transnationale, c’est son habilité pour les relations publiques. Les porte-paroles d’Uber sont jeunes, dynamiques et toujours gentils. Même Eugénie Bouchard aime Uber. L’entreprise a vite compris qu’elle pouvait séduire des générations de nouveaux consommateurs et consommatrices en se faisant le porte-étendard d’une avancée technologique d’une infinie coolness qui vient, lentement mais sûrement, supplanter les vieux et dispendieux chauffeurs de taxis qui, on s’en doute, auront tôt fait de rejoindre les calèches dans le Vieux-Québec. Uber, dit-on, est le digne représentant d’une nouvelle « économie du partage ».

2- Le monstre dans la vallée

Mais qu’est-ce qu’on trouve derrière ces porte-paroles souriants et ces applications stylisées ? Uber, c’est d’abord une multinationale extrêmement puissante qui vaut plus de 60 milliards de dollars, bien davantage qu’un autre géant de l’intangible tel que Twitter qui pèse moins du tiers. On pourrait difficilement imaginer une PME mener d’intenses combats juridiques, politiques et de communications simultanément dans des centaines de villes à travers le monde sans avoir beaucoup, beaucoup de moyens. Éviter le fisc doit aider à la santé financière d’Uber par ailleurs, comme semble le permettre son réseau complexe de filiales entre les Bermudes et les Pays-Bas.

3- Des conducteurs-partenaires « désactivables »

Conçu dans la Sillicon Valley, Uber promet une rentabilité formidable à ses actionnaires puisqu’après avoir créé son infrastructure informatique légère, il laisse les travailleurs et les travailleuses – du monde tangible cette fois – travailler pour lui et lui verser au passage 20% du prix de la course. Or, même si les « conducteurs-partenaires » (Uber n’aime pas dire « employé-e-s ») possèdent le capital (la voiture) nécessaire à la réalisation du travail dont il est ici question – transporter  des personnes d’un point A à un point B – ils sont subordonnés à Sillicon Valley et portent seuls les risques reliés à ce travail. Si vous tombez malade ou si votre voiture se brise, Uber n’a rien à voir avec ça.

Et si vous vous plaignez des baisses de tarifs, ou du fait de devoir travailler 15 heures par jour pour obtenir un salaire décent, ou si la note reçue par vos passagers passe sous les 4,7, Uber vous désactive (Uber n’aime pas dire congédier).

En somme, Uber, c’est la fine pointe de la technologie en matière de précarisation du travail.

4- M. Couillard et les Luddites

On pourrait en vouloir à Uber ne serait-ce que pour nous avoir valu une autre réflexion du premier ministre du Québec sur le sens de l’histoire : « Historiquement, dans toute l’histoire des sociétés, tout mouvement qui vise à freiner ou à arrêter un développement technologique, ces mouvements-là ont toujours échoué ». Ce faisant, M. Couillard montrait sa sympathie pour l’application Uber qui au Québec comme ailleurs suscite des affrontements entre ses partisans et les associations de taxis.

Or, posé ainsi, il s’agit d’un faux débat. Même les Luddites qui détruisaient les machines, écrasés par l’exploitation des ouvriers durant  la Révolution industrielle, condamnaient l’oppression et le pouvoir des patrons et non pas la technologie elle-même.

S’opposer à Uber aujourd’hui n’est pas un réflexe technophobe. C’est une réflexion sur l’organisation du travail, voire même une revendication sur la réelle démocratisation du travail. Si Uber était porté par les mêmes valeurs que Wikipedia, le débat serait tout autre. Certains n’ont d’ailleurs pas perdu de temps à cet égard, en suggérant la socialisation d’Uber, ou en créant carrément des applications rivales décentralisées.

5- « Partage », wtf ?

Avant de vous emballer trop rapidement avec la magie de « l’économie du partage », prenez un moment pour écouter cette série de reportages où vous suivrez Andrew Callaway à San Francisco alors qu’il cherche à gagner sa vie à travers l’économie du partage.

Comme l’écrit l’économiste Michal Rozworski, « plutôt que de permettre une socialisation accrue qui répartit la richesse et la prise de décision, l’économie du partage canalise l’argent et le contrôle vers le sommet » où la richesse se concentre déjà.

6- Désintégration

Dans leur parodie d’un cours à des nouveaux arrivants, les Zapartistes expliquaient aux immigrant-e-s : « En cas d’urgence, pour trouver un médecin, joignez le terrain de golf le plus près de chez vous et ceux qui préfèrent un service dans leur langue d’origine, appelez un taxi ».

La blague n’est pas sans fondement. Une étude de 2012 commandée par le gouvernement fédéral a cherché à décrire le profil socio-économique des chauffeurs de taxi. On apprend que la moitié est immigrante et que le tiers détient un diplôme d’études post-secondaires, en particulier les Indiens et les Pakistanais. À Montréal, 60% sont des chauffeurs de taxis sont immigrants. Un tiers est natif d’Haïti, près de 20% sont arrivés du Liban, 6% d’Algérie et un autre 6% d’Iran.

Peu l’ont mentionné dans le débat actuel, mais la précarisation sauvage des chauffeurs de taxi frappera de plein fouet une industrie qui s’est avéré un plan B pour plusieurs minorités racisées victimes de discrimination à l’emploi. Le développement anarchique d’Uber aura donc également un impact sur l’intégration économique des immigrant-e-s.

***

Uber, ce n’est pas de l’innovation. Ce n’est pas davantage un modèle d’affaires avant-gardiste.

Uber, c’est tout simplement du capitalisme, dans sa forme la plus brute.

Considérant tous les désastres auxquels mènent les marchés lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes, les ringards ne sont peut-être pas ceux qu’on croit, finalement.

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