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Redressement économique : les leçons de l’économiste Tim Jackson et de la crise financière de 2008

6 octobre 2020

  • NV
    Nicolas Viens

Comment redresser l’économie du Canada dans le contexte de la pandémie de COVID-19? Cette question s’est retrouvée au centre des priorités du dernier discours du Trône. Acclamé par certains et critiqué par d’autres, plusieurs interrogations subsistent néanmoins à propos du plan de redressement économique du gouvernement libéral.

Remarquons d’abord que les enjeux liés au redressement économique ne datent pas de la crise actuelle. En effet, on peut se demander si l’économie canadienne était réellement sortie des remous de la Grande Récession de la fin des années 2000 lorsque la pandémie a frappé. Difficile à dire, mais plusieurs leçons doivent être tirées de la crise précédente. Nous souhaitons plus particulièrement rappeler les conclusions tirées à l’époque par la Commission pour le développement durable (SDC) au Royaume-Uni.

Créée en 2000, la SDC était chargée de tenir compte des besoins sociaux, économiques et environnementaux dans la prise de décisions politiques du gouvernement britannique. Après la crise financière de 2008, la Commission publie le rapport « Prospérité sans croissance ». Dirigé par  Tim Jackson, économiste de l’Université de Surrey, le rapport met de l’avant des recommandations adressées au gouvernement sur les meilleures pratiques à adopter pour redresser l’économie du Royaume-Uni. Sa recommandation principale : afin de continuer de prospérer, le Royaume-Uni, comme tous les pays à revenu élevé, doit abandonner le concept de croissance économique.

Publiée sous forme de livre six mois plus tard, sa critique du statu quo économique occidental, où la croissance économique est considérée comme cruciale pour la stabilité économique et le bien-être des populations, attire rapidement l’attention. Le livre reçoit les éloges de personnalités telles que Naomi Klein, George Monbiot, Noam Chomsky et Herman Daly, tandis que le journal Le Monde y voit « l’un des ouvrages d’économie environnementale les plus marquants de ces dernières années ».

Le cœur du rapport gravite autour de la question suivante : à quoi ressemblera la prospérité dans un monde dont les ressources sont limitées et dont la population dépassera les 10 milliards de personnes d’ici 2050? Le rapport critique l’approche productiviste qui veut que pour combler nos besoins essentiels, nous consommons les ressources planétaires à un rythme nettement supérieur à celui de leur régénération.

Alors que l’idée d’une économie sans croissance est inconcevable pour un économiste conventionnel, Jackson raisonne que l’idée d’une économie constamment en croissance est impossible à concevoir pour un écologiste. Pour lui, ce besoin de croissance est la cause principale de la crise financière de 2008. Ainsi, ce ne sont pas les actions de certaines banques ou d’autres institutions financières dysfonctionnelles qui ont mené à cette crise globale, mais plutôt l’impératif de croissance de l’économie contemporaine, dérégulée, fragilisée par les pratiques d’endettement et qui marginalise les enjeux sociaux des politiques économiques adoptées. Cet impératif s’impose davantage dans la foulée des politiques néolibérales de la fin du 20e siècle.

Par ailleurs, Jackson se démarque d’autres critiques de la croissance économique capitaliste en reconnaissant certains bienfaits à la croissance économique, qui a mené plusieurs pays à une opulence matérielle et à un niveau de confort jamais vus depuis la Révolution industrielle. Par contre, ses recherches tendent à démontrer que les différents gains associés à la croissance économique diminuent à mesure qu’un pays se développe. Ce faisant, il devient dans l’intérêt d’un pays « développé » de prioriser d’autres éléments et enjeux économiques, particulièrement les inégalités sociales, une situation qu’il désigne par le concept de « post-croissance ». Dans un tel cas, le but est d’atteindre une prospérité durable, définie par l’épanouissement humain à l’intérieur des limites écologiques planétaires, plutôt que basée sur une croissance économique constante.

Selon Jackson, ce concept est nettement plus réaliste que les idées de révolution du système capitaliste mondial et aussi moins radical que les idées de « décroissance ». C’est également une avenue plus crédible que le ciblage de gains d’efficacité, souvent associée à l’innovation technologique ou à « l’écoblanchiment » (mieux connue sous le terme de greenwashing, cette approche adoptée par plusieurs multinationales consiste à se donner une image verte sans changer ses pratiques polluantes). Cette approche est associée au maintien du statu quo par certains gouvernements ou industries, que Jackson critique comme largement insuffisante ou carrément délirante.

Pour appliquer le concept de post-croissance, Jackson propose une panoplie de politiques, regroupées sous quatre thèmes principaux : 1) l’établissement de limites (non seulement matérielles et en termes d’exploitation des ressources naturelles, mais aussi pour le secteur financier), 2) l’abandon du consumérisme, 3) la réduction des inégalités et 4) la réorganisation de l’économie en fonction de principes macroéconomiques durables (par exemple, remplacer le PIB comme unité de mesure, réformer les systèmes monétaires et les marchés de capitaux mondiaux, réformer les politiques du travail, etc.).

Il est difficile de mesurer l’impact du rapport de Jackson sur les politiques britanniques. La Commission a cessé ses fonctions en 2011, victime des politiques d’austérité du Parlement. Toutefois, les recommandations de Jackson et de la SDC demeurent d’actualité en 2020. En fait, elles soutiennent l’avis de certains auteurs et spécialistes qui suggèrent de profiter de la crise actuelle pour revoir le fonctionnement de notre économie et de la redessiner afin de mieux s’attaquer à plusieurs problèmes socioéconomiques contemporains, dont la croissance des inégalités et l’érosion de la classe moyenne.

Marqué par le contexte de la crise financière, Jackson soulignait par ailleurs dans son rapport qu’il ne faut pas croire que le niveau d’urgence du moment rend inopportun la remise en cause du système économique actuel. Au contraire, cette crise constituait aux yeux de l’économiste une opportunité unique de transiter vers une structure économique plus inclusive, plus écologique et plus égalitaire. En revanche, il est crucial d’éviter le retour aux pratiques insoutenables afin de prévenir une prochaine crise encore plus difficile à surmonter.

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