Qu’est-ce qui cloche avec la science économique?
5 mai 2014
En cette journée du 5 mai 2014, 22 associations et collectifs étudiants en économie de 18 pays, dont fait partie le Mouvement étudiant québécois pour un enseignement pluraliste de l’économie, signent un manifeste international réclamant des changements profonds à la manière dont l’économie est présentement enseignée dans nos universités. Isolement face aux autres courants de pensée, isolement face à la critique, isolement face aux autres sciences sociales; les reproches adressés à la science économique traditionnelle ratissent large et ne sont pas nouveaux. Face à un modèle d’enseignement dont l’influence est internationale, la critique s’organise aujourd’hui à l’échelle globale.
Intitulé « Pour une économie pluraliste », le manifeste met en mots le malaise ressenti par nombre d’étudiants et d’étudiantes qui passent par les bancs d’école des départements d’économie, incluant l’auteur de ces lignes.
Des questions laissées sans réponse
Mais où sont donc les explications de l’instabilité financière, des sources de la crise majeure de 2008, dans laquelle nos sociétés sont toujours enlisées? Où discute-t-on de la répartition fortement inégalitaire des revenus et des patrimoines, de la sécurité alimentaire? À quel endroit dans le cursus remet-on sérieusement en question le modèle actuel de développement, qui se heurte aujourd’hui aux contraintes écologiques, qui bouleverse notre climat?
Le fait est que comme étudiant.e.s, nous passerons le plus clair de notre temps à résoudre mathématiquement des modèles de croissance et à optimiser des fonctions de production ou de consommation, toujours à l’intérieur du même courant théorique, plutôt qu’à étudier les questions économiques fondamentales dans toute leur complexité et selon une diversité d’approches.
Bien sûr, le courant dominant a sa propre diversité, ses propres débats internes. Mais comme le font valoir les signataires du manifeste : « un cursus d’économe complet devrait favoriser la structuration intellectuelle des étudiant.e.s dans une variété de cadres théoriques, des approches néoclassiques largement enseignées aux écoles classique, postkeynésienne, institutionnaliste, écologique, féministe, marxiste et autrichienne – entre autres – toutes largement exclues ».
Le Québec, un terreau fertile au pluralisme
Au Québec, des voix s’élèvent depuis un bon moment déjà en faveur d’un enseignement pluraliste de l’économie. En 1978, les étudiant.e.s du module d’économie de l’UQAM déclenchaient une grève de six semaines pour réclamer la reconnaissance d’un droit de regard sur leur formation et un enseignement pluraliste, des événements que relate le professeur Louis Gill dans un récent essai.
Puis, ont suivi la création de la revue Interventions critiques en économie politique (devenue aujourd’hui Interventions économiques), et la mise sur pied de l’Association d’économie politique, sous l’impulsion, entre autres personnes, du regretté professeur Gilles Dostaler. Quelques années plus tard, dans les années 1990, le professeur Bernard Élie de l’UQAM tentait avec d’autres, mais sans succès, de fonder un nouveau programme de premier cycle en économie politique, qui devait s’inscrire dans une perspective pluraliste.
Aujourd’hui, bien que n’étant pas issu.e.s d’un programme de formation commun, l’on peut retrouver des économistes non conventionnels ou hétérodoxes dans diverses organisations : outre l’IRIS, des instituts comme l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) ou le collectif Économie autrement organisent des événements, des publications et rassemblent des économistes hétérodoxes autour d’initiatives porteuses (le Réseau CLÉ, fondé il y a quelques années, en est un bon exemple). En milieu universitaire, l’organisme de liaison Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS) ou encore le Collectif d’analyse de la financiarisation du capitalisme avancé (CAFCA), en sociologie économique, sont de formidables incubateurs d’idées.
Vers où aller?
Bref, plusieurs espaces de réflexion existent pour faire vivre une conception holistique de la science économique. Ce qui manque est peut-être un ancrage plus solide dans le monde académique, afin d’offrir une formation économique complète, qui soit à la fois pluraliste et professionnalisante. Peut-on penser réformer les départements d’économie? Ou doit-on plutôt aller vers des parcours « économie » disséminés à travers divers autres départements, comme en science politique, en sociologie, en histoire, en environnement? Ou encore, doit-on carrément remettre à l’ordre du jour le projet de programme en économie politique?
C’est ce type de questions qui animera les signataires du Mouvement étudiant québécois pour un enseignement pluraliste de l’économie dans les mois à venir. Pour en savoir plus ou prendre part à la discussion, consultez : www.pluralisme.economieautrement.org ou www.facebook.com/pages/Mouvement-étudiant-québécois-pour-un-enseignement-pluraliste-de-léconomie/694643217249167. Pour visiter le site du mouvement international : http://www.isipe.net/.
L’auteur est co-signataire d’une lettre parue dans Le Devoir.