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Pour en finir avec l’idée que le Québec est pauvre et doit « rattraper » le Canada

12 novembre 2020


La crise économique causée par la COVID-19 est du jamais vu. Le confinement de la première vague a entraîné une contraction de l’économie de près de 40% au Québec pendant près de 2 mois, tandis que le déficit anticipé pour l’année en cours est de près de 13 milliards de dollars. Le ministre des Finances Éric Girard prévoit que, lorsque la pandémie sera derrière nous et que nous aurons repris nos activités normales, le Québec restera pris avec un déficit structurel de 5 à 8 milliards de dollars par année lié aux modifications de nos comportements à long terme et au déclin de certaines industries.

En début de pandémie, le ministre Girard a rejeté catégoriquement l’idée de recourir à des mesures d’austérité pour revenir à l’équilibre budgétaire, en arguant que ce n’était pas le moment de couper dans les dépenses de l’État si on voulait soutenir l’économie. Très bien. Il a aussi rappelé qu’il n’avait pas l’intention d’augmenter les impôts de qui que ce soit, car les contribuables étaient déjà bien assez taxés, et qu’il fallait donc plutôt miser sur une forte croissance économique pour espérer revenir à l’équilibre budgétaire d’ici 5 ans.

On se doute toutefois de ce que le ministre Girard fera si le Québec ne connaît pas de croissance extraordinairement élevée dans les prochaines années. Après tout, les dernières années furent marquées par une pénurie de main-d’œuvre importante qui laisse entendre que nous fonctionnions déjà au maximum de notre capacité. Le ministre a également déjà revu à la baisse les objectifs de croissance des dépenses dans le réseau de la santé et des services sociaux pour les prochaines années, le faisant passer sous les 5,2% nécessaires pour suivre les besoins de notre population vieillissante. Autrement dit, on prévoit déjà l’austérité sans la nommer.

Pour justifier sa stratégie de retour à l’équilibre budgétaire par une forte croissance économique, le ministre a ressorti un vieil argument qui a bien servi les politiques d’austérité par le passé, soit que le Québec est trop pauvre et trop interventionniste pour songer à augmenter les impôts de ses plus riches. En effet, en entrevue avec Gérald Filion à la fin du mois d’octobre, le ministre Girard affirmait :

« Le Québec est la province qui intervient le plus dans son économie : 25 % de son PIB, la ponction, le niveau de dépenses du gouvernement, c’est le modèle québécois. Mais, le modèle québécois, il faut constater qu’en 2020, nous sommes 23 % de la population canadienne et 20 % de l’économie canadienne. Donc, notre modèle n’est pas parfait. Il y a des ajustements à faire à notre modèle pour fermer l’écart de richesse. […] On a besoin de plus d’investissements privés. On a déjà des investissements publics importants. On a une fiscalité des entreprises qui est élevée. On a des taxes sur la masse salariale qui sont élevées. Et on a beaucoup de crédits d’impôt. Cette combinaison n’a pas permis au Québec d’être le leader au Canada économiquement. Il y a des ajustements à faire. »

Cette citation est remplie de demi-vérités qu’il convient de rectifier. Du côté des dépenses, on constate que le secteur public au Québec occupe une place légèrement supérieure à la moyenne du Canada en proportion de son PIB. Un peu moins que les provinces maritimes, qui ont une économie privée moins productive, et un peu plus que l’Ontario et la plupart des provinces de l’Ouest, comme on peut le voir dans au graphique 1.

Cette proportion des dépenses publiques sur le PIB dépend non seulement des dépenses de l’État, mais aussi de l’ampleur du PIB « privé » des provinces. Or, les économies de toutes les provinces ne se ressemblent pas parfaitement: toutes n’ont pas le même genre d’industrie, la même géographie, ni les mêmes avantages comparatifs que les autres. En regardant les données sur la part des différentes industries dans le PIB des provinces canadiennes, on constate facilement que les trois provinces auxquelles le Québec est constamment comparé possèdent toutes une industrie particulièrement lucrative que le Québec ne peut espérer émuler : le pétrole en Alberta, la finance en Ontario et l’immobilier en Colombie-Britannique (graphiques 2, 3 et 4).

Il est également indéniable que le poids économique du Québec ne reflète pas son poids démographique dans le Canada, mais c’est le cas de toutes les provinces à l’exception de l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador, dont les économies reposent principalement sur le pétrole. Cet écart entre le poids démographique et économique est par ailleurs moins grand en Ontario et en Colombie-Britannique qu’au Québec, comme le montre le graphique 5.

Cela étant dit, à quoi bon vouloir « rattraper le retard » du Québec avec ces provinces plus riches? De quoi le ministre Girard est-il jaloux exactement? De ne pas vivre dans la province où il en coûte le plus cher pour se loger (Colombie-Britannique)? De ne pas tirer 30% de notre richesse nationale d’une industrie très polluante dont on doit provoquer le déclin (Alberta, Saskatchewan)? Ou bien de ne plus être le centre financier du Canada, qui sert de paradis fiscal aux minières de ce monde et qui a contribué à la pire crise économique du siècle en 2008 (Ontario)? En d’autres mots, l’immobilier, le pétrole, la finance constituent trois industries de rentiers qui « créent de la richesse » en produisant dans leur sillage des dettes, des bulles spéculatives et des désastres environnementaux. Il est donc temps de reconnaître que le Québec est aussi riche qu’il peut l’être et que l’enjeu n’est pas de créer de la richesse, mais bien de la redistribuer.

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