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Le nouvel étalon

16 décembre 2013


Les dernières décennies nous avaient habitué à une croissance stable du produit intérieur brut (PIB) des pays de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord. Pas le Klondike, mais un constant 2% ou 3%. C’était le niveau normal, l’étalon à partir duquel on se disait : en haut, c’est bon, en bas, ça ne va pas.

Au début novembre, Larry Summers, ancien secrétaire du Trésor de Clinton et proche conseiller d’Obama au lendemain de la crise, a participé à une conférence au Fonds monétaire international (FMI) où il a annoncé qu’il était peut-être temps de mettre cet étalon de croissance au rancart. Il a en effet avancé que le marasme dans lequel était englué les économies développées était the new normal (que je traduis par : le nouvel étalon). La croissance se situerait désormais entre 0,5 et 1,5%.

Pourquoi serions-nous condamnés à cette éternelle grisaille? Pour reprendre le résumé de Martin Wolf du Financial Times (disponible ici, mais uniquement pour les abonné.e.s), trois raisons fondamentales sont mises de l’avant.

Première raison, malgré une politique monétaire plus qu’accommodante, l’économie ne retrouve pas son dynamisme. Qu’est-ce que ça veut dire? Que même si les banques centrales maintiennent les taux d’intérêt très bas – ce qui fait que ça ne coûte pas cher d’emprunter de l’argent pour l’investir dans des projets et donc qu’on peut prendre plus facilement des risques – le taux de croissance économique reste relativement bas. Particulièrement, si on le compare aux tendance d’avant la crise.

En deuxième lieu, il faut comprendre qu’avant la crise, l’économie mondiale était dopée par la bulle immobilière américaine. Or, juste avant le déclenchement de la crise, aucun indicateur économique traditionnel n’annonçait une crise. On ne voyait aucun symptôme des excès économiques. Pas de surchauffe, tout avait l’air normal.

Troisièmement, même si la croissance était de la partie avant la crise, les taux d’intérêt réels restaient relativement bas, ce qui est contraire à l’habitude, où plus l’activité économique s’emballe plus les taux d’intérêt augmentent (comme il y a une forte demande pour emprunter).

Nous serions donc prisonnières et prisonniers d’une stagnation de longue haleine (secular stagnation) que Paul Krugman explique plutôt bien. Dans cette stagnation, les périodes de dynamisme économique sont uniquement causées par des bulles. Et, comme le montre Antonio Fatas, même pendant ces périodes de bulle, les taux d’investissement des entreprises dans l’économie sont particulièrement bas.

Quels sont les deux éléments centraux de cette nouvelle dynamique? Un taux d’endettement élevé de la part des ménages et un taux d’épargne imposant du côté des entreprises. Elles gardent leur argent dans leur compte de banque, ce qui fait que les salaires stagnent. Les ménages sont obligés d’emprunter pour maintenir leur rythme de vie parce qu’il n’y a pas de nouveaux emplois créés et parce que les salaires n’augmentent pas, faute d’investissements. C’est l’endettement des ménages qui tire l’économie lentement hors de la crise, le tout au profit des entreprises bancaires qui récoltent les taux d’intérêt en passant. Résultat, une économie au ralenti, des ménages pris à la gorge et la poursuite du gonflement du secteur financier.

Si vous suivez l’IRIS un peu, tout cela ne vous surprendra pas. Déjà, il y a bientôt quatre ans, on parlait de l’endettement des ménages. En 2012, on mentionnait cette croissance des liquidités des entreprises, sur ce même blogue – un sujet que nos collègues du Collectif d’analyse de la financiarisation du capitalisme avancé (CAFCA) et du Progressive Economics Forum (PEF) ont bien davantage creusé que nous. Enfin, en juin dernier, Éric Pineault publiait ici une étude qui présente en substance la thèse d’une trappe d’austérité stagnation dans laquelle seraient piégées nos économies. Au mois de novembre 2013, il semble que les économistes conventionnels se sont réveillés. Nous sommes bien content.e.s de voir que nous ne sommes plus seul.e.s à penser qu’il s’agit d’une nouvelle situation.

Que faire dans ce contexte? D’aucuns appellent à plus d’investissement, même public. On nous ramène les vieilles histoires de Keynes qui proposait de payer des gens pour creuser des trous inutiles : bref, qu’importe si l’investissement est bon ou mauvais tant qu’on investit. D’autres propositions émergent : augmenter l’inflation ou mettre des taux d’intérêt négatifs dans les comptes courants des entreprises. Bien sûr, ces propositions apparaissent aujourd’hui scandaleuses, mais qui sait, peut-être qu’elles aussi gagneront en popularité sous peu.

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