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L’autre personnalité 2011 : les agences de notation

26 décembre 2011


Le magazine Time a décrété que la personnalité de l’année 2011 était le protester (le manifestant) . La page couverture du magazine est on ne peut plus claire, on y évoque les manifestant-es de Wall Street, du printemps arabe, de la Grèce et de Moscou. Dans son édition du week-end des fêtes, Le Devoir allait dans le même sens en nommant « l’Indigné » comme personnalité de l’année. Le texte du Time nous prévient que s’il y a des manifestant-es depuis des lunes, ceux de cette année ont une toute autre efficacité et, en plus, n’ont pas les mêmes référents idéologiques :

All over the world they are criticized by old-schoolers for lacking prefab ideological consistency, which the protesters in turn see as a feature rather than a bug. Miral Brinjy, a 27-year-old blogger and TV-news producer who grew up in Saudi Arabia and arrived in Tahrir Square on the first day of protests 11 months ago, doesn’t presume to have a precise picture of the new Egyptian government and society she envisions, but as she told me in Cairo last month, “I know what I don’t want.”

Ainsi, la personnalité de l’année serait un ensemble de gens qui réagissent à une situation politique, sociale ou économique intenable sans véritable projet autre que de savoir ce qu’ils ne veulent plus. « On est écœuré, on sort dans la rue et ça change les choses, peu importe vers quoi, au moins ça change », voilà ce qu’on a l’impression d’entendre de la bouche du protester présenté par le Time.

Mais si on creusait davantage et que l’on considérait l’envers de la photo en papier glacée du célèbre magazine ? Qui se cache derrière, ou plutôt, qu’est-ce qui provoque toutes ces manifestations ? Quelle organisation a le mieux représenté en 2011 la spéculation et les délires financiers du capitalisme ? Il ne peut y avoir qu’un candidat en lice : les agences de notation.

En fait, on peut passer à travers l’année 2011 et trouver à chaque évènement d’importance sur la scène internationale un lien avec ces agences de notation. Passons en revue quelques cas.

Grèce

Oui, ça a manifesté fort en Grèce, mais pourquoi et à cause de qui? Le très bon ouvrage de Louis Gill nous explique pourquoi un système bancaire mondial tout juste sauvé de la crise par les gouvernements qui y ont investi des milliards exige ensuite de ces derniers qu’ils sabrent dans les dépenses. Les banques décident alors qu’avec ces fonds publics elles n’offriront pas du crédit aux entreprises pour qu’elles créent de l’emploi, mais qu’elles investiront plutôt dans les bons d’épargnes des différents gouvernements bien plus stables en temps de crise que l’investissement dans le secteur privé. Toutefois, rappelons-le : acheter des bons d’épargne, c’est endetter les gouvernements à qui on les achète.

C’est alors que les agences de notation entrent en jeu. Certains pays (la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal) voient leurs dettes – déjà élevées – prendre des dimensions inquiétantes et sont reluquées d’un œil dubitatif par ces agences qui considèrent qu’elles doivent mettre en place d’importantes mesures d’austérité. Les agences de notation se révèlent ainsi bien plus politiques qu’elles prétendent l’être. Comme le souligne  l’économiste Simon Porcher, la décote de la Grèce est d’abord et avant tout un désaveu du fonctionnement de l’Union Européenne et de l’Euro. Tant qu’on ne changera pas les règles du jeu, elles ne croient tout simplement pas à un sauvetage de la Grèce.

Quand les agences décotent cette dernière pour montrer leur insatisfaction ou leurs doutes, c’est évidemment la Grèce qui paie le gros prix. Ses taux d’intérêt augmentent, le coût des emprunts bondit et son budget national sombre dans des déficits encore plus imposants. La suite des choses allait de soit : davantage d’austérité, une économie encore plus dévastée en et encore plus de manifestant-es dans la rue.

Occupy Wall Street

Les manifestant-es qui se rassemblent à Wall Street à partir du mois de septembre ont l’impression d’avoir été floué par le monde de la finance. Bien sûr, les bonis des banquiers, les subprimes et tout le reste. Mais ce qu’on a peut-être trop peu relevé, c’est la responsabilité des agences de notation dans la crise de 2008.

En effet, on s’est aperçu que les agences en questions ont de graves problèmes de conflit d’intérêt et de manque de personnel. Elles se retrouvent à attribuer une cote à un produit financier non pas en fonction des vrais risques qu’il représente, mais tout simplement en fonction de sa capacité à dégager du profit avec le client qui le leur soumet pour évaluation. De plus, la popularité de la titrisation et des marchés financiers fait que le nombre de produits financiers à évaluer est en explosion et que les gens pouvant le faire sont peu nombreux et ont très peu de temps. Comme le souligne cet autre texte, elles n’ont pas su réagir à temps aux situations périlleuses et, quand elles ont agi,, au lieu de minimiser les dégâts, elles ont largement participé à les aggraver.

Si les Étasunien-nes se sont retrouvées dans les rues de Wall Street, les agences de notation y sont grandement pour quelque chose. Sans elles et leurs notations AAA sur les subprime, la ruée vers les titres toxiques n’aurait pas été aussi grande. De la même manière, sans leur empressement à décréter la panique avec des baisses de notations extrêmes et rapides, la débâcle n’aurait pas été si brutale.

Printemps arabe

Ce serait aller un peu loin, cependant, d’affirmer que les agences de notation sont liées au déclenchement lui-même des révoltes qui ont mené à ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler les printemps arabes. Si on veut y trouver des causes venues de la finance internationale, on doit plutôt parler de spéculation sur le prix des denrées de base (qui ne semble pas près de prendre fin).

Une fois les révoltes en cours, les agences de notation sont toutefois intervenues. L’économie étant affaire de stabilité, tout trouble est source de perte d’un profit potentiel. Ainsi Standard and Poor n’hésite pas à signaler qu’elle dégradera la note du Maroc “au moindre soulèvement social”. Difficile de ne pas y voir un appel à la répression.

Bien sûr les décotes des pays qui connaissent des troubles auront aussi des conséquences pour les gouvernements en place qui verront leur marge de manœuvre financière diminuer. On devine que ceux-ci préféreront couper des les programmes d’aide à leur population que dans les dépenses militaires…

Moins bruyantes et plus problématiques que les manifestant-es qu’on peut facilement interpréter selon le bon goût du moment, les agences de notation ont joué un rôle déterminant en 2011. Même si elles occupent depuis un bout de temps déjà un rôle essentiel dans l’économie cette année les aura révélé comme un acteur essentiel et hautement critiquable : que ce soit pour leurs choix ou leurs erreurs. Bien sûr, les manifestants les ont pointés du doigt, mais aussi, en Europe, des représentants politiques songent à les remplacer par une agence européenne.

L’année 2011 aura bel et bien fait de ses organisations très lucratives et sans la moindre imputabilité démocratique une personnalité centrale. Leur mise sous les projecteurs aura révélée que, sous couvert d’être la « voix du marché », elles sont en fait le bras politique des gros investisseurs qui donnent ou non leur imprimatur aux décisions économiques sans égards à la volonté des peuples.

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