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Lac-Mégantic causée par la lutte au “red tape”?

19 août 2014


Le directeur du Centre Canadien des Politiques Alternatives (CCPA), Bruce Campbell, vient de publier un second rapport à propos de la tragédie de Lac-Mégantic. Il y fait le bilan des audiences tenues par le Bureau de la sécurité des transports (BST) qui remettra son rapport demain – mais aussi de toutes les informations qu’il a lui-même révélées dans son premier rapport et qui ont depuis été publiées dans les médias. Les 25 pages du rapport de Bruce Campbell sont accablantes pour Transport Canada, à chaque étape du processus mis en place pour protéger le public contre des catastrophes, on voit des exceptions, des règles floues, des vérifications qui ne sont pas faites… Derrière cette meurtrière incompétence que retrouve-t-on? La guerre du gouvernement fédéral contre le red tape.

La lecture complète du rapport vaut le coût, mais sortons quelques exemples particulièrement inquiétants. Allons-y en vrac :

  • Transport Canada a refusé, contre l’avis de ses spécialistes internes et à l’inverse de ce qui se pratique aux États-Unis, de considérer le pétrole brut comme une matière dangereuse qui a besoin d’un plan d’urgence. Ainsi, à Lac-Mégantic on a dû attendre 16 heures avant d’avoir accès au produit adéquat pour éteindre le feu.
  • Faute de moyen Transport Canada n’a pas embauché de nouveaux inspecteurs pour les matières dangereuses alors que le nombre de wagon transportant du pétrole a une croissance fulgurante. Le nombre de wagon de pétrole par inspecteur est passé de 14 à 4500 par année entre 2009 et 2013.
  • Le plan d’inspection de trois ans des compagnies ferroviaires par Transport Canada n’a été complété qu’à 26%, cela veut dire que sur 31 compagnies œuvrant dans le domaine, seulement huit ont été visitées par des inspecteurs. D’ailleurs, sur les 110 inspecteurs à l’emploi de Transport Canada, seulement 10 ont les compétences pour accomplir des enquêtes en profondeur (des audits) et 35 sont en mesure de faire l’inspection de matières dangereuses.
  • Il a fallu attendre plusieurs mois après Lac-Mégatic pour que Transport Canada cesse de considérer que les wagons DOT-111S étaient appropriés pour transporter du pétrole brut. Pourtant, ces wagons étaient critiqués ailleurs dans le monde comme étant risqués depuis 2009.
  • Transport Canada a permis, contre l’avis de son propre bureau de Montréal, à la Montréal Maine and Atlantic – qui avait pourtant une feuille de route désastreuse en matière de sécurité – de fonctionner avec un seul opérateur par train, augmentant de beaucoup les risques d’erreurs humaines.

Quand on met tous ces faits ensemble – et bien d’autres soulevés dans le rapport – il devient à peu près impossible d’affirmer que Transport Canada a joué son rôle de protection du public. La question qui reste c’est : pourquoi? Y-aurait-il à Transport Canada des gens cruels qui se frotteraient les mains à l’idée de provoquer une tragédie? Il est absurde de prendre cette idée comme prémisse, personne ne souhaite que de telles choses arrivent.

Ce qui est moins absurde par contre, c’est d’y voir l’effet de deux tendances très fortes au sein de notre société. La première, c’est la volonté des entreprises de diminuer sans cesse leurs coûts. Pas parce qu’elles sont méchantes, simplement parce que c’est dans leur ADN : les entreprises veulent augmenter leurs profits, c’est – de leur point de vue – leur survie qui en dépend. Ainsi, elles se livrent à une série de procédés pour éviter toute règlementation. Dans son rapport, Bruce Campbell en montre plusieurs : quand un permis est refusé à Montréal on va prendre un souper avec les responsables à Ottawa, dès qu’un règlement est adopté on trouve toutes les manières de le contourner, dès qu’on peut réduire la main-d’œuvre et sa formation, on procède, etc.

Cette tendance normale – mais raisonnable? ça se discute – se double dans le cas du Canada d’un gouvernement fédéral qui a pris le parti de réduire le « red tape », c’est-à-dire tout ce qui bloque l’entreprise privée dans sa volonté de croissance. On voit ici une transformation de la conception de l’action gouvernementale : avant on considérait qu’elle protégeait le public, sous le gouvernement conservateur on dit qu’elle nuit à l’entreprise. S’il existait un équilibre entre la volonté de protection du gouvernement et la volonté de croissance de l’entreprise (on peut en douter), il est définitivement rompu. Le gouvernement entre alors en guerre contre sa propre règlementation, au grand bonheur des entrepreneurs qui ont de moins en moins de responsabilités à prendre et de risques à assumer. Que devient la tragédie de Lac-Mégantic dans ce cas, sinon le dommage collatéral d’une guerre qu’un gouvernement mène contre lui-même?

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