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La surconsommation est le nouveau noir

22 novembre 2013

  • Eve-Lyne Couturier

Dans exactement une semaine, ce sera la fête nationale des étasunien·ne·s. Ou plutôt celle du American Dream dans son incarnation la plus mercantile, superficielle et, disons-le, violente. Dans exactement une semaine, ce sera le Black Friday, la journée qui débute officieusement le magasinage des Fêtes. Chaque année, des montants astronomiques sont dépensés dans une variété de magasins qui utilisent des prix parfois dérisoires sur certains articles pour attirer des clients. À titre d’exemple, l’an dernier, c’était environ 247 millions de personnes qui ont dépensé au total près de 60 milliards de dollars.

Deux éléments ressortent particulièrement de ces séances sportives de magasinage : d’abord, l’efficacité du marketing qui cristallise l’impression d’urgence et d’éphémère (rabais très importants, nombre d’articles limités, ouverture des magasins à des heures inhabituelles, etc.) et ensuite, le comportement souvent sauvage, parfois violent de la foule qui cherche à maximiser leurs économies. On se rappelle, par exemple, de l’homme mort dans l’indifférence en 2011.

Ou d’un échange de coups de feu entourant des places de stationnement en 2012. Mais au-delà de ces nouvelles spectaculaires se cache une Amérique qui voit son pouvoir d’achat diminuer, et ses exigences de consommation augmenter.

Il s’agit du trickle down consumption. Après avoir analysé les données économiques à la recherche du trickle down economy, donc de l’effet redistributeur d’inciter l’accumulation de richesse auprès des plus riches, de favoriser les profits des grandes entreprises, des économistes se sont rendus compte de l’existence d’une réalité bien différente, et bien moins optimiste. D’un côté, et sans grande surprise, c’est lorsque l’État redistribue la richesse qu’on parvient à mieux diminuer l’écart entre les riches et les pauvres, et non en laissant cette responsabilité à la volonté d’individus ou d’entreprises. Et de l’autre, ce sont plutôt les habitudes de consommation des ménages qui ont plus d’argent qui ont tendance à se répercuter sur ceux qui en ont moins : on a une propension à chercher à émuler les comportements de ceux et celles qui en ont un peu plus que nous.

Les chercheur·e·s parlent d’une « course aux armements » de la consommation : l’affirmation, le maintien et le dépassement du statut social passent par la capacité de dépenser (propriétés, voyages, équipement, écoles, etc.), souvent au-delà de ses moyens. Ainsi, habiter dans un bon quartier coûte de plus en plus cher, donner les meilleurs avantages à ses enfants exige des investissements de plus en plus importants, etc. La société nous y encourage aussi, nous offrant des produits « de luxe » « abordables ». Comme par exemple la bulle immobilière de 2008. Ou un Playstation 4 à 200$ pendant le Black Friday. Qu’on ait les moyens ou non, l’endettement est là pour ça.

Mais, rappelons-le, les rabais spectaculaires sont des hameçons pour appâter la consommatrice et le consommateur qui, une fois dans le magasin, risque de se laisser tenter par d’autres produits pour lesquels il ne se connaissait pas de besoin au préalable ou de réduire leurs exigences. De plus, les réductions de prix cachent souvent des produits dont le magasin souhaite se débarrasser (mauvaise évaluation, ancienne génération, etc.) alors que, dans d’autres cas, les rabais sont minimes, voire inexistants.

Par ailleurs, derrière cette frénésie de l’achat se cachent souvent des entreprises qui offrent des salaires à la hauteur des petits prix éphémères du Black Friday ainsi que des conditions de travail très limitées. On pense par exemple à Walmart, où des gérants de magasin ont lancé une campagne de don de nourriture au bénéfice de leurs propres employé·e·s. Bien que sûrement pleine de bonne volonté, cette initiative souligne principalement l’insuffisance des salaires offerts par la multinationale. Elle rappelle également la ligne téléphonique de soutien mise en place par McDonald (qui n’offrira toutefois pas de rabais vendredi prochain) pour  appuyer ses employé·e·s dans la recherche  d’initiatives, communautaires ou gouvernementaux, pour les aider à boucler leurs fins de mois.

La nécessité de l’État de compléter les revenus de ces working poor pourrait se comparer à une subvention indirecte aux entreprises concernées, nécessaire puisque les normes minimales sont tellement minimales qu’elles permettent difficilement de sortir de la pauvreté, même en travaillant à temps plein. Pourtant les profits sont bel et bien au rendez-vous, que l’on pense à Walmart, McDonald’s ou Target, trois géants de la consommation de masse et des salaires anémiques. Augmenter les salaires afin de permettre une vie décente à leurs employé·e·s est donc une mesure financièrement envisageable. Dans le cas de Walmart, une étude suggère même que, si l’entreprise arrêtait de doper ses actions, il pourrait augmenter les salaires de plus de 5$ de l’heure sans diminuer ses profits, sans avoir à « compenser » par une augmentation des prix.

En attendant, il est important de rappeler que les bas prix payés dans les magasins qui justifient leur politique salariale par ces mêmes bas prix viennent avec une surtaxe indirecte pour les consommatrices et consommateurs qui paient, à travers leurs taxes et impôts, pour compenser la différence. Sans le filet social et les initiatives de solidarité communautaires, plusieurs personnes n’auraient pas les « moyens » de travailler, manquant d’argent pour le logement, la nourriture ou le transport. Être de mauvaise foi, on pourrait également se demander si les bas salaires ne rendent pas « dépendants » les employé·e·s aux magasins où ils et elles travaillent. Tant qu’à avoir peu d’argent pour ses dépenses personnelles, aussi bien maximiser son pouvoir d’achat en profitant du profit de sa propre exploitation.

Lorsque vous verrez des nouvelles parlant du Black Friday, de sa popularité, des montants astronomiques injectés dans l’économie étasunienne en moins d’une journée, quand vous serez un peu jaloux des rabais auxquels vous n’avez pas eu accès, commencez par vous rassurer. Le Boxing Day est dans un peu plus d’un mois. Et ce sera alors à notre tour d’essayer d’émuler une consommation pour laquelle nous n’avons pas les moyens en essayant de compenser pour nos salaires qui stagnent pendant que les profits des multinationales ne cessent d’augmenter.

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