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La monnaie, une institution méconnue

9 mai 2018

  • Julia Posca

La monnaie est au cœur de nos vies et de notre économie et pourtant, son rôle et sa nature sont bien souvent mécompris. Depuis quelques années, les partisans de la théorie de l’argent-dette diffusent par exemple des thèses sur la monnaie qui témoignent de cette mécompréhension. Il en sera question plus loin. Dans ce billet, qui s’appuie principalement sur l’ouvrage La monnaie ─ Un enjeu politique, je présenterai ainsi les principales caractéristiques de la monnaie dans le but d’en démystifier les rouages.

On définit généralement la monnaie à partir de ses trois fonctions : il s’agit d’un mode de paiement (instrument d’échange), d’une unité de compte (instrument de mesure de la richesse et du revenu) et d’une réserve de valeur (moyen de stocker de la richesse). Son principal avantage, et ce qui la rend désirable, est son caractère liquide : elle peut être échangée n’importe quand, et sa valeur nominale n’est pas affectée par les fluctuations du marché, à l’intérieur d’un pays du moins.

Il y a un mythe tenace à propos de l’origine de la monnaie, à savoir qu’elle serait apparue comme une innovation qui aurait permis de surmonter les difficultés liées au troc. Les recherches de nombreux anthropologues ont maintes fois démenti cette théorie qui fait de la monnaie un outil purement technique, et qui réduit la société à un amas de relations contractuelles.

En fait, la monnaie a pris diverses formes à travers l’histoire et les sociétés (coquillages, pierres, plumes, écus, etc.) et son usage ne se limite pas à l’échange de marchandises. Sa circulation s’inscrit dans des rapports sociaux particuliers et elle est le symbole d’une dette (une obligation) qui unit les membres d’une communauté. Elle oblige les individus à donner et à rendre l’objet qui circule en fonction de leur statut social.

Les pièces utilisées pour les paiements et les achats seraient vraisemblablement apparues il y a plus de deux millénaires dans le contexte des guerres menées par les grands empires occidentaux et orientaux. Le paiement des soldats avec des pièces et leur obligation  de verser de l’impôt sous cette forme ont permis à l’utilisation de la monnaie de se généraliser. La monnaie a aussi acquis le statut d’équivalent général, c’est-à-dire un instrument qui peut être échangé pour une foule d’objets, peu importe leur nature et peu importe le statut de celui ou celle qui procède à l’échange.

Un des fondements primordial de la monnaie est la confiance: qu’il s’agisse de monnaie scripturale créée par les banques privées (dépôts dans un compte courant) ou de monnaie fiduciaire émise par les banques centrales (pièces et billets), elle ne peut circuler et être acceptée pour se procurer des biens et des services que parce que la communauté reconnaît la légitimité de son émetteur.

Dans les sociétés capitalistes, la monnaie met en relation les acteurs économiques capables d’amasser de l’argent avec ceux dont le travail peut être acheté. Elle exprime ainsi le rapport de force entre les capitalistes et les producteurs, où les premiers peuvent faire fructifier leur argent (qui devient ainsi du capital) en payant les seconds  dont le travail génère de la valeur (sous la forme de biens et de services pouvant être échangés contre de l’argent). Le capitalisme est donc une économie monétaire de production – et non pas spécifiquement une économie de marché, comme on l’entend souvent, les marchés étant présent dans bien des sociétés non-capitalistes.

Dans les sociétés actuelles, la monnaie est créée par l’octroi de crédit aux individus et aux entreprises par les banques privées. Ainsi, chaque prêt accordé par une banque fait augmenter la masse monétaire en circulation dans l’économie, tandis que son remboursement détruit en quelques sortes la monnaie initialement créée. Puisque ces prêts anticipent une activité économique future – une voiture sera achetée, une usine sera construite – le crédit est un pilier de l’activité économique dans nos sociétés.

Ce phénomène est scandaleux aux yeux des partisans de la théorie de l’argent-dette, qui insiste sur le caractère virtuel de la monnaie ainsi créée. La monnaie émise par une banque centrale (ou les écus frappés par un roi, par exemple) n’est pourtant pas plus « réelle » que la monnaie de crédit ; sa valeur n’est pas plus « vraie ». Cette théorie s’intéresse à des problèmes importants, dont la spéculation et le surendettement, mais elle rate sa cible.

C’est davantage le manque d’encadrement des banques privées qui pose problème dans le contexte actuel. La dérégulation financière, à l’œuvre depuis les années 1980, a permis aux banques de se servir de leur monopole sur la création monétaire pour alimenter leurs activités spéculatives. D’un côté, elles octroient des prêts, tirant ainsi profit de la stagnation des salaires des travailleurs et des travailleuses qui ont recours au crédit pour maintenir leur niveau de vie. De l’autre, elles vendent des actifs financiers risqués qui sont en partie créés à partir des prêts qu’elles ont accordés. Or, le caractère spéculatif de l’activité bancaire contribue à l’intensification de la récurrence des crises économiques.

L’instabilité créée par cette recherche de profits pourrait ébranler la confiance du public envers le système bancaire et le système économique dans son ensemble. La prolifération de monnaies locales n’est pas étrangère à cette perte de confiance et à la volonté de citoyennes et de citoyens de remettre la monnaie au service de l’économie. Après tout, c’est d’abord la soumission de la monnaie à la logique de l’accumulation qui est à l’origine des dérives de la finance, et non les modalités de sa création.

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