Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Faites-vous confiance à votre compagnie d’assurance?

7 juin 2018

  • Guillaume Hébert

En tout cas, le ministre des Finances, Carlos Leitão, lui, semble avoir une confiance aveugle envers les grands assureurs. La centaine de lobbyistes dépêchés par ceux-ci au Parlement seraient parvenus à attendrir le ministre afin que lui-même attendrisse la législation. C’est justement ce que propose l’actuel projet de loi 141 (PL 141), dont on attend de voir s’il sera adopté avant la fin de la session parlementaire. Les associations de protection des consommateurs s’y sont vertement opposées, mais les dernières années nous ont enseigné comment le gouvernement libéral était plus proche de la grande entreprise que des regroupements citoyens. Il faut croire que l’intérêt collectif manque de lobbyistes.

On a trop peu parlé du projet de loi 141, qui attend actuellement sa destinée à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi, qui porte sur la régulation des services financiers au Québec, fait 488 pages, contient 741 articles et modifie, abroge, remplace ou édicte 62 autres lois. Il est si long – et si contesté – que plusieurs intervenant·e·s et regroupements ont demandé qu’il soit retiré, quitte à être revu dans une session parlementaire ultérieure (à titre comparatif, le projet de loi 10 qui a fusionné les établissements du système de santé dans la plus grosse réforme du réseau depuis les années 70 faisait 165 articles qui tenaient sur 33 pages).Comme tous les projets de loi, le titre est aguicheur : il propose d’« améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières ». Comment s’opposer à tous ces bienfaits? En plus, à une époque où l’on fait disparaître les intermédiaires « grâce » aux plateformes numériques comme Uber ou Airbnb, ne faut-il pas y voir une avancée majeure pour tous ces consommateurs aptes à se débrouiller avec les nouveaux outils technologiques?

Non. On se retrouve plutôt de nouveau en territoire législatif orwellien, où la guerre, c’est la paix, où l’on nous annonce une chose pendant qu’on nous fait l’inverse. Comme avec Uber, ce ne sont pas les avancées technologiques qui sont en cause, mais bien les législations qui protègent le public.

Dans ce cas-ci, « l’amélioration de l’encadrement » signifie qu’on va davantage déréguler le secteur financier, c’est-à-dire éliminer des contrôles. Le projet de loi entend faire disparaître deux espèces de chiens de garde en matière de produits financiers, soit la Chambre de la sécurité financière et la Chambre de l’assurance de dommages. La première a pour mission de protéger les consommateurs de services financiers et la seconde forme et encadre 15 000 agents et courtiers en assurance de dommages et experts en sinistre.

À la suite de leur éventuelle abolition, la supervision de ce secteur de la finance serait confiée à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ceci soulève au moins deux problèmes. D’une part, l’AMF aura-t-elle suffisamment de ressources pour accomplir ce travail? D’autre part, tout indique qu’il deviendra beaucoup plus ardu (et plus coûteux) de formuler des plaintes.

Le projet de loi permettra d’ailleurs à des personnes sans titre reconnu de vendre des produits d’assurance. Par exemple, vous téléphonez à votre assureur pour l’aviser d’un simple changement d’adresse. Le préposé au service à la clientèle au bout du fil pourrait en profiter pour vous recommander la toute nouvelle police en promotion qu’offre l’assureur à un prix d’aubaine. Ce préposé n’aurait pas l’obligation légale – comme c’est le cas actuellement avec les agents ou courtiers d’assurances dûment accrédités – de vérifier votre situation. Il pourrait, par exemple, ne pas vérifier si vous avez une piscine et vous vendre la nouvelle police d’assurance qui ne couvre pas les piscines. Et contrairement à la situation actuelle, il en aurait le droit.

En sommes, selon le mémoire rédigé par Jacques St-Amant pour la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ), le PL-141 réduit « les obligations imparties aux représentants en matière d’assurance » et« l’information disponible pour la consommatrice en matière de distribution d’assurance sans représentant »,il propose« un régime d’encadrement inadéquat et imprécis en matière de distribution d’assurance en ligne » et il aggrave « les difficultés associées aux processus de traitement des plaintes des institutions financières ».

Personne n’a été surpris de constater que c’était les « gros joueurs », soit l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), le Bureau d’assurance du Canada (BAC) et la Corporation des assureurs directs de dommages au Québec (CADD) qui ont applaudi le projet de loi.

Alors que sont toujours à l’étude des projets de loi plus pertinents sur la conciliation travail-famille, sur la vente du cannabis, sur un réseau public de borne de recharge rapide ou sur la protection des sources journalistiques, les parlementaires ne devraient pas voir le peu de temps restant à la session parlementaire accaparé par l’immense projet de loi 141. De fait, si ce dernier mourait au feuilleton, ça serait une bonne nouvelle pour la population.

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous