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Et si on nationalisait Uber?

18 mai 2016

  • Philippe Hurteau

Le conseil général du PLQ de la fin de semaine nous a donné à voir de bien drôles de scènes. Pendant que le premier ministre voulait faire peau neuve en abordant les deux années qui le séparent des prochaines élections comme le champion de l’éducation, c’est un tout autre débat qui a finalement monopolisé l’attention. Pour ou contre Uber?

D’un côté, il y avait l’aile jeunesse du parti en soutien à l’économie du partage et, de l’autre, le ministre Daoust et son projet de loi visant à réglementer les activités de l’entreprise de covoiturage.

Plusieurs se sont étonnés du « courage » des jeunes libéraux, regroupement normalement plus occupé à ne pas faire de vagues qu’à faire quoique ce soit d’autre. Par contre, personne n’a relevé les incohérences de leur réflexion. Posés en grands défenseurs de l‘économie du partage et d’une nouvelle manière d’aborder la vie économique —pleine de promesses et de potentiel, au diapason des pratiques et des habitudes des générations montantes—, ces militants et militantes défendaient du même souffle une « vieille » multinationale aux comportements sauvages et prédateurs.

La fiction du partage

Le problème avec la position des jeunes libéraux, c’est qu’elle mélange les pommes et les oranges. Défendre l’économie du partage, c’est bien. Vouloir que les rapports économiques fassent une plus grande place à la collaboration et à la coopération, c’est encore mieux! Toutefois, ce n’est jamais vraiment de cela dont il est question au fond lorsqu’on a affaire à des entreprises capitalistes. En défendant des compagnies comme Uber ou Airbnb et en présentant ces dernières comme l’incarnation d’une nouvelle économie, on passe à côté de ce qui compte vraiment.

Les doutes soulevés quant au modèle d’affaires de ces entreprises et les questionnements plus que pertinents concernant leur participation ou non à l’économie du partage ne doivent pas être balayés du revers de la main. Toutes les deux sont des méga-entreprises. À elle seule, Uber vaut aujourd’hui autour de 50 milliards de dollars, et Airbnb n’est pas très loin à 24 milliards de dollars (ce qui fait d’Airbnb le deuxième groupe de la planète dans l’industrie hôtelière, tout juste derrière Hilton).

Nous ne sommes donc pas face à deux entreprises qui facilitent le partage et la collaboration, mais bien à deux entreprises qui s’immiscent dans les relations de partage et s’imposent comme intermédiaires. Elles organisent la captation de la valeur économique produite par le partage et l’orientent vers leurs coffres, le tout en faisant de sérieuses entorses à la réglementation et au respect de la fiscalité des pays où elles s’implantent. Répétons-le, nous ne sommes pas dans l’univers de la collaboration ou du lien direct entre individus qui s’échangent des services, mais bien dans celui de la prédation.

Pourquoi ne pas organiser collectivement le partage?

En lieu et place de ce détournement privé de la collaboration, il est possible de faire autrement. Cette nouvelle tendance économique est, il est vrai, grandement facilitée par les moyens technologiques. Plutôt que de laisser des multinationales les prendre en charge, nous pouvons développer localement des applications qui répondent aux besoins des différents utilisateurs et utilisatrices des plateformes qu’elles fournissent.

Pensons-y deux secondes : quel service offre Uber? Deux fois rien! Un site Web, une application mobile et un minimum d’activités de nature administrative. Le gouvernement du Québec pourrait très bien prendre directement en charge des services si légers et mettre à la disposition de chaque municipalité du Québec une application pour offrir, sur son territoire respectif, des services de covoiturage.

Plusieurs avantages découleraient de cette « nationalisation » d’Uber. On pourrait s’assurer que les taxes soient prélevées correctement. Les tarifs demandés aux clients pourraient être stables, prévisibles et de nature à ne pas induire une concurrence déloyale au reste de l’industrie du taxi. Il serait même plus facile d’appliquer une règlementation sur l’entretien des véhicules et sur la formation des chauffeurs et chauffeuses. Ainsi, pour pouvoir s’inscrire comme conducteur ou conductrice sur l’application publique, il faudrait démontrer que l’on remplit certaines exigences minimales. De plus, il serait possible de limiter l’utilisation faite de cette application afin qu’il ne soit plus possible de s’improviser chauffeur de taxi à temps plein.

Bref, l’application gouvernementale pourrait corriger plusieurs aspects d’Uber qui font l’objet de critiques légitimes, et ce qui est vrai pour le covoiturage l’est également pour l’hébergement.

Au final, une telle initiative s’autofinancerait en bloquant les pertes fiscales que cause le Far West actuel. Ce serait là une solution gagnante pour tout le monde : permettre l’essor de l’économie du partage sans pour autant affaiblir les revenus fiscaux de l’État ou constituer une situation de concurrence asymétrique pour des secteurs économiques déjà existants.

Et si vous êtes réticent·e·s à voir l’État développer ce genre de service, le gouvernement pourrait toujours en déléguer la réalisation et la gestion à des coopératives de travail, certainement la forme d’entreprise la plus à même d’organiser le partage et la collaboration économique.

Il s’agit là d’une avenue à étudier, mais mon petit doigt me dit que ce n’est pas vraiment cela que M. Couillard a en tête pour le chantier de réflexion qu’il veut créer sur le sujet. Dommage…

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