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Du gouvernement des médecins à celui des comptables

22 octobre 2018

  • Julia Posca

Dans son discours suivant l’assermentation de son Conseil des ministres, le nouveau premier ministre François Legault a enjoint son cabinet à « se mettre au service de l’économie ». La centralité des questions économiques est indéniable pour l’ancien PDG d’Air Transat qui, dès son arrivée en politique avec le Parti québécois, avait comparé son travail de ministre à celui d’un chef d’entreprise. C’est donc sans surprise que 20 ans plus tard, plus de la moitié de son cabinet est composé d’hommes et de femmes d’affaires, d’entrepreneurs et de gestionnaires issus du secteur privé.

En comptant M. Legault, on se retrouve avec quatre comptables à la tête des principales fonctions économiques : Christian Dubé, qui devient président du Conseil du trésor. Il a travaillé dans le privé avant d’être à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Pierre Fitzgibbon, nouveau ministre de l’Économie et de l’Innovation. Partenaire de la firme WSP, il est aussi passé par la Banque Nationale. Enfin Éric Girard, ministre des Finances. Il a été trésorier à la Banque Nationale.

François Legault a voulu se faire rassurant en confiant les rênes de l’État à des comptables, dont la capacité à gérer les comptes d’une entreprise et à s’assurer de leur santé financière serait utile pour la gestion des finances publiques.

Pourtant, l’État n’est justement pas une entreprise. Son administration demande une réflexion à plus long terme et les besoins d’une population sont beaucoup plus variés et complexes que ceux des actionnaires d’une entreprise dont le seul souci est d’extraire de la valeur.

Si l’austérité libérale nous a appris une chose, c’est bien que de s’en tenir strictement aux indicateurs économiques pour gérer les dépenses publiques dessert à la fois la population, l’économie et la popularité du parti au pouvoir. Les exemples qui montrent les limites d’une telle approche sont nombreux.

Une diminution du nombre de fonctionnaires ne permettrait pas de dégager de la valeur comme le ferait la diminution de la masse salariale d’une multinationale. En revanche, une telle décision pourrait affecter la qualité des services offerts à des citoyens qui n’auront pas de solution de rechange vers laquelle se tourner. Dans ce domaine comme dans d’autres, le quatuor comptable de la CAQ devra être en mesure de sortir de ses vieux réflexes et d’adopter une vision plus large de l’action gouvernementale que celle de la simple quête de profitabilité.

Les dépenses nécessaires pour enclencher la transition écologique ne seront peut-être pas récupérées à court terme ; elles n’en demeurent pas moins incontournables pour assurer notre qualité de vie dans l’avenir. M. Legault semble découvrir l’importance des enjeux relatifs au climat et à l’environnement et dit vouloir obtenir dans ces dossiers, comme dans les autres, des « résultats ».

Pourtant, aucun montant n’a été prévu à cet effet dans le cadre financier présenté en campagne électorale.

Pire, les mesures en matière énergétique prônées jusqu’ici par la CAQ, soit la surproduction d’hydroélectricité et l’exploitation pétrolière et gazière, vont à l’encontre de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le nouveau premier ministre s’est enfin donné le mandat de créer de la richesse et compte sur son pragmatisme pour y arriver, mais tout le monde ne s’entend pas sur les moyens de créer la richesse.

Si le monde des affaires s’est dit heureux de la composition du cabinet de M. Legault, c’est probablement parce qu’il s’attend, entre autres, à ce que l’impôt des entreprises demeure faible et que le salaire minimum ne soit pas augmenté significativement. Or, non seulement l’efficacité de ces mesures n’a pas été démontrée, mais elles minent la capacité du gouvernement à financer adéquatement les services publics, à réduire les inégalités et à lutter contre la pauvreté.

En somme, M. Legault et ses collègues doivent s’attendre à de la résistance si, sous prétexte d’améliorer la performance économique du Québec, ils ne font, dans les faits, que gouverner pour le seul bénéfice de l’élite économique de la province.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 22 octobre 2018 de La Presse.

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