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Desjardins : petit retour sur une publication controversée

11 juin 2019


Notre publication sur Desjardins a suscité de nombreuses réactions la semaine dernière. « Vers la bancarisation du Mouvement des caisses populaires? », c’est le titre que nous avions donné à cette note socioéconomique. L’objectif était ainsi de vérifier dans quelle mesure Desjardins, connue à titre de coopérative de crédit et d’épargne, ressemble de plus en plus à une banque traditionnelle. C’est une affirmation que plusieurs personnes ont avancée dans le passé, dont Claude Béland, président du Mouvement de 1987 à 2000. Celui-ci affirmait, en entrevue au Journal de Montréal en 2015, que Desjardins avait « vendu son âme », des propos qu’il a tenus à nouveau en 2016 dans une entrevue réalisée par Gérald Fillion, ainsi qu’au lendemain de l’annonce de la fermeture de points de service et de guichets automatiques en 2018.

Pour ce faire, nous avons retracé différentes transformations qu’a subies le Mouvement Desjardins au fil du temps, en prenant la peine d’étudier chacune d’entre elles à la lumière du contexte social et historique dans lequel elles sont survenues. C’est en faisant cette analyse de nature historique et sociologique que nous avons pu montrer que Desjardins ne s’était non pas transformée en une banque, mais s’était éloignée de ses principes d’origine pour ressembler de plus en plus à une institution bancaire traditionnelle. Nous avons en outre pu constater qu’elle était parfois à la remorque des autres entreprises du secteur financier, mais qu’elle était parfois elle-même moteur du changement.

Plusieurs nous ont rétorqué que les caisses et la fédération n’avaient pas le choix de se coller aux pratiques des banques. C’est le cas notamment du chroniqueur Pierre-Yves McSween, qui nous a reproché deux fois plutôt qu’une de ne rien comprendre à la réalité dans laquelle évolue Desjardins (ici et ici). Cette critique est d’autant plus surprenante qu’elle renforce la conclusion à laquelle nous arrivons. À l’inverse, plusieurs personnes nous ont reproché de nous attaquer à un fleuron de l’économie québécoise qui, encore aujourd’hui, se distingue nettement des banques traditionnelles. Il va sans dire qu’il aurait été opportun de montrer en quoi le Mouvement est différent des établissements bancaires, en évoquant par exemple les nombreuses aides financières offertes aux entreprises et organismes en tout genre, ou encore en rappelant que les membres ont la possibilité de s’impliquer dans la gestion de leur caisse. Or, cette précision n’aurait rien changé au diagnostic de « bancarisation » que nous avons établi.

Le Mouvement de défense et d’éducation des actionnaires (le Médac) nous a reproché d’être nostalgiques du Québec des années 1900 et du communautarisme étouffant qui le caractérisait, et ce parce que nous avons comparé l'époque de la fondation de Desjardins avec le contexte actuel. Cette critique, que d’autres nous ont aussi adressée, témoigne malheureusement d’une confusion entre nostalgie et sociologie. Qu’on le veuille ou non, Desjardins, en se distanciant de sa mission d’origine, a pourtant accompagné le développement de la société de consommation, tout comme, depuis les années 1990, l’entreprise a contribué à la croissance fulgurante de l’endettement hypothécaire, notamment en ayant recours à la titrisation de certaines créances comme moyen de répondre à ses besoins de financement. En disant cela, on n’appelle d’aucune manière à un retour en arrière; on ne fait qu’identifier des dynamiques à l’œuvre dans la société et l’économie québécoises ainsi que les acteurs qui ont été déterminants dans le développement de certains phénomènes préoccupants tels que l’explosion du recours au crédit.

Réagissant par l’entremise de l’une de ses porte-parole, Desjardins a indiqué ne pas vouloir commenter notre note, sous prétexte qu’elle était « incomplète ». Certes, notre étude, qui fait moins de 20 pages, passe malheureusement sous silence plusieurs aspects de la vie de cette vaste organisation présente dans notre paysage depuis plus d’un siècle. Il aurait par exemple été souhaitable, comme l’ont avancé certains, d’évoquer les tensions internes qui divisent le Mouvement. Or, l'exercice de révéler ces déchirements (par exemple en réalisant des entrevues avec des membres ou des administratrices de caisse, ou encore en ayant accès à des procès-verbaux d’assemblées générales) pourrait à lui seul faire l'objet d'une publication. En même temps, si de telles tensions existent, c’est bien parce que des individus tentent ou ont tenté de résister à l’adoption des pratiques que nous avons décrites dans la note.

Nous souhaitions que cette publication, aussi modeste soit-elle, contribue à documenter l’évolution de Desjardins. À la lumière de l’attention qu’elle a reçue, nous ne pouvons qu’espérer avoir l’occasion de poursuivre ce travail dans l’avenir ou voir d’autres chercheur·e·s trouver un intérêt à poursuivre l’exercice que nous avons entamé.

 

 

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