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Les impacts sociaux de la désindustrialisation

17 novembre 2023

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5min


En juin dernier, j’ai assisté au congrès annuel du groupe de recherche DéPOT (« La désindustrialisation et la politique de notre temps »). L’événement avait lieu à l’Île du Cap Breton, en Nouvelle-Écosse. Cette région éloignée est maintenant connue surtout pour ses paysages touristiques, mais elle a longtemps été le cœur industriel des Maritimes, en raison de ses mines de charbon et de son aciérie. Aujourd’hui, ces deux industries sont à peu près disparues de l’île. Comme le groupe de recherche DéPOT se penche en effet sur les répercussions sociales, économiques et environnementales de la fermeture de mines et d’usines, il s’agissait d’un bon endroit pour étudier les multiples facettes de la désindustrialisation. 

Dans l’étude sur le revenu viable hors des grands centres publiée en septembre dernier, on constate que plusieurs des localités qui vivent de grandes difficultés économiques sont d’anciennes villes mono-industrielles ayant perdu leurs principaux employeurs. À titre d’exemples, la fermeture de la scierie de Forestville, du chantier naval de Sorel-Tracy et des usines de textile de Huntingdon a porté un dur coup à l’économie de ces municipalités.

Des conséquences pour l’ensemble de la communauté

Dans chacune de ces villes hautement dépendantes d’une industrie, la disparition de celle-ci a engendré un processus semblable. Des centaines de personnes se sont retrouvées au chômage et ont donc perdu subitement une part importante de leurs revenus. D’autres personnes – souvent les plus jeunes et les plus qualifiées – ont quitté la ville pour trouver un emploi ailleurs. Elles ont alors mis leurs résidences en vente, parfois sans trouver preneur. Des commerces confrontés à l’attrition de leur clientèle ont fermé leurs portes. Ces phénomènes combinés ont entraîné une baisse des revenus de la municipalité, qui a réagi en coupant des services pour équilibrer son budget. 

À Murdochville, où la mine et la fonderie de cuivre ont fermé au tournant des années 2000, une lettre écrite par le maire à propos de la situation financière de la ville peu après la fermeture montre l’étendue des impacts de la désindustrialisation, qui touche l’ensemble de la communauté :

« Il vous est donc suggéré dans la préparation de ce budget de fermer le Centre sportif, ce qui représente une économie importante, de fermer la bibliothèque, de cesser le contrôle des insectes piqueurs, de céder les infrastructures du lac York à un privé, que la neige soit déposée sur les pelouses au lieu d’être ramassée, de couper dans la main-d’œuvre, soit de passer de douze employés à cinq ».

Mais les conséquences de la désindustrialisation vont souvent bien au-delà des effets immédiatement observables. Dans plusieurs cas, les pertes d’emplois et la dévitalisation socioéconomique mènent à une hausse notable de la détresse psychologique. À Chandler, en Gaspésie, plus d’une décennie après les licenciements causés par la fermeture de la papetière Gaspésia, la directrice du Centre de santé et de services sociaux du Rocher-Percé constatait que le taux de suicide dans la MRC était alarmant et qu’il y avait de graves problèmes d’isolement social, de violence et de consommation d’alcool et de drogue. La santé publique de la région attribuait alors ces statistiques troublantes à la situation économique difficile et au désespoir liés à la perte de l’usine.

Aujourd’hui encore, la Municipalité régionale de comté (MRC) du Rocher-Percé, dont Chandler est la plus grande ville, fait partie des MRC les plus dévitalisées du Québec, tout comme la MRC de la Haute-Côte-Nord, qui a été sévèrement affectée par la crise de l’industrie forestière. Dans ces deux MRC, l’effet de fermetures d’usines survenues il y a plus de 15 ans se fait encore sentir aujourd’hui.

Réduire les méfaits de la désindustrialisation

Le désarroi qui a frappé ces communautés n’avait pourtant rien d’inéluctable. Ailleurs, grâce à des interventions gouvernementales judicieuses et à la mobilisation citoyenne et syndicale, il a été possible d’atténuer les impacts négatifs de la désindustrialisation. On peut en effet envisager des mesures pour éviter que la fermeture d’une usine se transforme en catastrophe socioéconomique. En voici quelques-unes :

  • Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Alors que les stratégies de développement régional s’appuient souvent sur des tentatives pour attirer de gros joueurs industriels, une économie locale a plus de chances d’être résiliente si elle est diversifiée. On sait d’ailleurs que le secteur public est un meilleur pourvoyeur d’emplois que les industries extractives.
  • Faciliter la prise en charge par les travailleuses et les travailleurs lorsqu’une entreprise décide de fermer ses installations. Dans certains cas, l’appropriation collective d’une usine par ses employé·e·s a non seulement permis de préserver des emplois, mais aussi d’entamer une démarche de reconversion écologique de la production.
  • Dans toute ville mono-industrielle, s’assurer qu’une partie des profits générés par l’activité industrielle soit investie dès le départ dans un fonds pour la diversification économique et pour la réorientation des personnes qui perdent leur emploi.

L’urgence climatique nous impose d’entamer dès maintenant une transition écologique, ce qui implique un désinvestissement des industries polluantes. Il importe, dans ce contexte, de mettre en place des conditions pour que cette transition se fasse en douceur pour les communautés concernées.

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2 comments

  1. D’avoir lassé des villes se créer autour d’une industrie unique a été une décision ou la vision de l’avenir était carrément absent.

    L’installation d’un système de monorail suspendu avec le moteur roue de Pierre Couture avec une dépense de 15,000,000$ du km permet de couvrir tout le sud du Québec, de Gatineau à Gaspé. C’est un projet plus structurant que tout ce dont on a entendu parler jusqu’à maintenant.

    La généralisation d’un accès peu coûteux à un réseau internet qui couvre le territoire est un autre élément structurant important.

    L’accès à l’agriculture doit être révisé afin que le petit fermier se retrouve toujours avantagé par rapport aux monopoles de l’agro-alimentaire.

    Voila!
    Trois solutions qui donneraient plus d’indépendance au Québec face à un libre échange qui lui a toujours été néfaste.

  2. Les 5 à 7 millions de la CAQ pour les King devrait plutôt servir à réduire les méfaits de la désindustrialisation, tellement con et indécent de subventionner des millionnaires.
    Très bon article…

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