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Sous Trudeau, le Canada continue de se militariser

17 octobre 2022

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En avril dernier, le gouvernement fédéral a profité de la guerre en Ukraine pour accroître le budget de la Défense nationale de 8 milliards de dollars sur cinq ans. Lors de sa victoire électorale de 2015, Justin Trudeau annonçait à ceux et celles qui s’étaient inquiété·e·s que le pays ait perdu sa « voix compatissante et constructive sur la scène internationale » durant les années Harper que le Canada était de retour. En entendant cela, on pouvait s’imaginer que le gouvernement Trudeau allait rompre avec le militarisme de son prédécesseur. Sept ans plus tard, on sait que le ton du discours gouvernemental a peut-être changé, mais que la réalité reste la même : le Canada continue de se militariser.

Dans deux notes publiées respectivement en février 2012 et en février 2014, l’IRIS a montré que les dépenses militaires au Canada ont atteint un creux dans les années qui ont suivi la fin de la guerre froide, mais qu’elles ont connu une recrudescence importante sous la direction du gouvernement de Stephen Harper. Dans sa stratégie Le Canada d’abord, publiée en 2008, le fédéral prévoyait d’accroître les ressources attribuées à l’armée canadienne pendant les 20 prochaines années.  Selon les prédictions budgétaires présentées dans ce document, les forces armées accapareraient plus de 30 milliards de dollars en 2026-2027. Le gouvernement Trudeau a continué dans la même voie et prévoit même des dépenses encore plus grandes : dans le budget 2022, il est estimé que les dépenses militaires atteindront plutôt 41 milliards de dollars en 2026-2027. En 2020, les dépenses militaires représentaient 1,42% du PIB, soit plus que le pic de 1,38% atteint par le gouvernement Harper en 2009.

À quoi servent ces dépenses? Bien que le conflit en Ukraine ait relancé les craintes d’une guerre d’envergure, il reste que le Canada ne connaît pas de menace directe. Il semble que la hausse des dépenses vise plutôt à s’aligner sur les politiques des États-Unis et de l’OTAN. Rappelons pourtant qu’en plus de servir à financer des opérations pour le moins douteuses comme l’a été la guerre en Afghanistan, les dépenses militaires canadiennes nous privent de sommes qui pourraient être investies ailleurs, comme dans des programmes qui amélioreraient le sort des citoyen·ne·s ou qui soutiendraient la transition écologique. On remarque d’ailleurs que la Défense nationale est de loin l’organisme qui produit le plus de gaz à effet de serre. À 495 000 tonnes annuellement (contre 118 000 tonnes pour le 2e organisme le plus polluant, Services publics et approvisionnement Canada), il émet autant de GES que 200 000 voitures.

Démilitariser la production

Si le gouvernement fédéral consacre autant d’argent à la défense, c’est peut-être en raison du poids qu’occupe l’industrie militaire dans l’économie canadienne. Selon des données de 2020, environ 78 000 emplois sont liés à celle-ci, dont un peu plus de 17 000 au Québec, soit 22% de l’ensemble des emplois associés à la défense au pays. Les entreprises québécoises sont particulièrement impliquées dans le secteur de l’aérospatiale et dans la production de munitions.

Souhaite-t-on vraiment que la subsistance de milliers de travailleurs et de travailleuses du Québec dépende de la vente d’armements? Les syndicats ayant des membres employés dans l’industrie militaire ont historiquement été confrontés à ce dilemme moral : comment défendre des emplois dans cette industrie tout en sachant que leur viabilité est souvent liée à la hausse des conflits armés et des tensions géopolitiques?

À Salaberry-de-Valleyfield, le syndicat des employé·e·s d’Expro a répondu à cette question par une approche progressiste. L’usine d’Expro (aujourd’hui General Dynamics) est une importante usine de munitions et l’un des plus importants employeurs privés de la région. Au début des années 1990, alors que la fin de la guerre froide a entraîné une baisse substantielle de la demande pour les produits militaires, l’entreprise est menacée et peine à trouver des investisseurs pour assurer sa relance. Le syndicat, doté d’une forte légitimité interne en raison de ses pratiques démocratiques et de plusieurs grèves réussies, propose donc la mise en place d’une forme de cogestion : en échange d’un investissement de la part de chacun·e des employé·e·s, il obtient la participation aux décisions de l’entreprise, y compris en ce qui concerne la production. Le syndicat utilise donc ce levier pour obtenir une démilitarisation partielle de la production : une partie des poudres explosives fabriquées par la compagnie serviront à activer des sacs gonflables au lieu de servir à alimenter des armes à feu.

Les efforts du syndicat d’Expro pour sauver des emplois tout en réduisant leur impact social négatif peuvent servir d’exemple dans le contexte de la crise climatique : en exerçant un plus grand contrôle sur leur milieu de travail, les syndiqué·e·s de différents secteurs pourraient mener des démarches pour décarboner la production et les services. Dans le secteur de la défense aussi, remplacer une partie de la production militaire par la production de biens essentiels permettrait sans doute d’avoir un impact environnemental moindre. Étant donné que les deux principaux partis fédéraux sont déterminés à hausser les dépenses militaires, peut-être que la mobilisation des travailleurs et des travailleuses contre cette tendance serait un des meilleurs moyens de faire pression pour que l’on emprunte une trajectoire plus juste et plus écologique.

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2 comments

  1. Tout le problème de la militarisation tient à l’usage qui est fait de l’armée.
    Pourquoi une armée nationale aurait des activités en dehors du territoire national, si ce n’est pour détruire un équilibre?
    OK! l’équilibre en question a été brisé par d’autres… Ça ne donne pas le droit de l’empirer.

    De nos jours, l’armée n’est plus utilisée pour protéger les citoyens et défendre le territoire, mais bien pour protéger des revenus et des augmentations de profits.

    Le budget militaire canadien est de 36,000,000,000$
    On veut le faire monter à 50,000,000,000$ dès 2023.
    Au vu de la taille des côtes canadiennes, plus de 200,000 km, et des frontières, presque 9,000 km, ça va prendre bien plus que ça simplement pour avoir une surveillance effective sur un périmètre qui excède 4 fois le diamètre de la Terre!

  2. Tou à fait d’accord avec votre article. Merci ^pour cette information. “Étant donné que les deux principaux partis fédéraux sont déterminés à hausser les dépenses militaires, peut-être que la mobilisation des travailleurs et des travailleuses contre cette tendance serait un des meilleurs moyens de faire pression pour que l’on emprunte une trajectoire plus juste et plus écologique”.

    ..et si Michel Chartrand était ici-bas avec nous…il ferait voter une résolution à la prochaine AG du Conseil central CSN pour réveiller les consciences et appeler à une mobilisation. Tout le monde devrait se sentir interpeler. Merci de continuer à ns. interpeler. LÂCHER PAS , C’EST TRÈS IMPORTANT CE SUJET-LÀ.

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