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Reprendre les usines pour réaliser la transition écologique : l’exemple de la coopérative GFF en Italie

12 novembre 2024

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À l’été 2021, le fonds d’investissement britannique Melrose Industries a annoncé la fermeture abrupte de l’usine GKN de Florence, qui fabriquait des arbres de transmission pour l’industrie automobile. Quand les quelque 400 employé·e·s ont appris la nouvelle, ils et elles ont immédiatement occupé l’usine pour protester contre leur licenciement. Loin de s’en tenir à la seule préservation des emplois existants, les travailleurs et les travailleuses de GKN Florence se sont allié·e·s à des groupes environnementalistes pour élaborer un plan de reconversion écologique de leur entreprise. Au cœur du plan : remplacer la production de pièces de voitures par la fabrication de vélos-cargos, d’autobus et de panneaux solaires.

Depuis maintenant trois ans et demi, les ouvriers et les ouvrières de l’ex-GKN tiennent des assemblées générales régulières, organisent des levées de fonds et font des démarches pour créer une coopérative de production, la « cooperativa GFF » (pour « GKN for future »). En collaboration avec le mouvement pour le climat, dont le groupe Fridays for Future associé à Greta Thunberg, les travailleurs et les travailleuses de l’usine ont organisé plusieurs manifestations qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes.

Pour des raisons légales et financières, la coopérative ne peut pas encore mettre entièrement à exécution son plan de transition écologique, mais les travailleurs et les travailleuses de l’usine maintiennent les équipements en bon état en prévision du jour où ils et elles pourront contrôler pleinement les moyens de production. Ils et elles ont aussi commencé à produire et à vendre des vélos-cargos. Encore peu présent sur les routes de l’Amérique du Nord, mais très présent dans certains pays d’Europe, le vélo-cargo comporte plusieurs avantages. Il peut contribuer à réduire la dépendance à l’auto, notamment pour les familles avec enfants, ou encore pour les personnes et les entreprises qui doivent régulièrement transporter des marchandises et des colis.

La démarche de la coopérative GFF constitue une réponse à l’échec des politiques environnementales actuelles et à  l’approche dominante de la transition écologique, qui s’appuie sur le concept de « développement durable » et qui suppose que des mécanismes de marché pourront régler la crise. Or, jusqu’à maintenant, cette approche a échoué et les émissions mondiales de CO2 n’ont pas diminué. Les grandes entreprises qui sont responsables de la crise climatique ne peuvent pas la résoudre. Il importe donc de penser une transition écologique qui mise sur la planification démocratique et qui passe notamment par l’implication des travailleurs et des travailleuses.

Production écologique et démocratie

Ce n’est pas la première fois que des salarié·e·s s’organisent dans le but de remplacer une production socialement dommageable par une production socialement utile. Au milieu des années 1970, les employé·e·s de l’entreprise aérospatiale britannique Lucas ont été confronté·e·s au risque de pertes d’emplois en raison de la diminution des dépenses militaires annoncée par le gouvernement travailliste. En réponse, ils et elles ont concocté le Plan Lucas, qui visait à réorienter les ressources de l’industrie militaire vers la production d’objets qui répondent aux besoins de la population, comme de l’équipement médical, des éoliennes et des systèmes de chauffage économes en énergie. Faute de soutien de la part du gouvernement et du leadership syndical du Royaume-Uni, le Plan Lucas n’a jamais été mis en œuvre, mais il a enflammé l’imagination de nombreux acteurs sociaux. Plusieurs de ses prototypes innovateurs ont été développés par la suite.

À Salaberry-de-Valleyfield, au tournant des années 1990, le syndicat de l’usine militaire Expro a obtenu la démilitarisation partielle de sa production en créant une coopérative de travail. Les munitions produites ont été remplacées par des sacs gonflables. Dans leur recherche d’options de rechange à la fabrication de matériel de guerre, les travailleurs et les travailleuses d’Expro avaient envisagé de faire de la décontamination des sols, du recyclage de pneus ou du traitement d’huiles usées, arguant que les ouvriers et les ouvrières qui ont de l’expertise dans l’utilisation de produits toxiques sont paradoxalement les mieux placé·e·s pour faire de la dépollution de manière sécuritaire.

En 1975, quand les travailleurs et les travailleuses de la manufacture horlogère française Lip ont occupé leur lieu de travail pour dénoncer la liquidation de l’entreprise, plusieurs employé·e·s ont eu l’occasion de visiter l’ensemble de l’usine pour la première fois, ce qui leur a permis de voir toutes les étapes du processus de production. Ils et elles ont alors remis en question les hiérarchies, repensé la répartition des tâches et diversifié la production. Le même phénomène s’est produit plus récemment lorsque l’ancienne usine provençale de sachets de thé Lipton est devenue une coopérative orientée vers les thés biologiques et les circuits courts.

Dans chacun de ces cas, la menace de pertes d’emplois a été l’étincelle qui a mené à la démocratisation et à la réorientation de la production. Il s’agissait d’entreprises ou de secteurs en difficulté, ce qui plaçait les employé·e·s sur la défensive. Pour éviter les conséquences funestes de la désindustrialisation, les personnes concernées ont donc parfois dû diluer leur volonté de transformation sociale pour se concentrer sur l’objectif immédiat de préserver leurs emplois. 

On peut néanmoins faire l’hypothèse qu’il y a un lien intrinsèque entre la démocratisation d’une entreprise et la réorientation de sa production vers des biens socialement utiles. À partir du moment où les travailleurs et les travailleuses ne sont plus de simples rouages de la machine et qu’ils et elles ont un véritable pouvoir décisionnel, ils et elles ont davantage la possibilité de réfléchir à la finalité de leur travail.

Suivant ces constats, l’ampleur de la crise écologique devrait nous motiver à mettre en branle des initiatives qui permettraient d’entamer dès maintenant un processus de planification démocratique et écologique de l’économie.

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