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COP24 : Envoyons Desjardins plutôt que Legault

2 novembre 2018

  • Guillaume Hébert

Le premier ministre québécois François Legault n’ira finalement pas en Pologne pour la rencontre de la COP24 qui portera sur les changements climatiques. Dommage, ce séjour aurait pu prendre la forme d’un voyage éducatif pour un gouvernement qui apparaît complètement dépassé par les enjeux environnementaux. Comme solution de rechange, on pourrait peut-être envoyer une délégation québécoise composée d’économistes du Mouvement des caisses Desjardins qui publiaient le mois dernier une étude sur les problèmes que pose la référence au produit intérieur brut (PIB), notre principal indicateur de richesse. L’IRIS traitait de la question il y a sept ans déjà, mais si le message cette fois provenait de représentants d’un groupe financier dont les actifs sont de 275 milliards de dollars, peut-être que la communauté internationale prêtera davantage l’oreille ?

Le PIB, un handicap

Vous êtes le chef d’État d’une grande nation. Vous déclenchez une guerre. L’industrie de l’armement jubile, elle ramasse le pactole. Puis, c’est l’industrie de la reconstruction qui débarque. Elle aussi engrangera des profits records. Bref, votre décision a été judicieuse d’un point de vue économique puisque vous avez créé de la richesse. C’est du moins ce qu’indiquera le PIB.

Vous êtes PDG d’une compagnie pétrolière. Vous avez besoin de nouveaux débouchés pour vos hydrocarbures et vous faites pression sur le gouvernement pour qu’il accepte et supporte (voire l’achète et le fasse lui-même…) un gigantesque projet de pipeline qui traversera les terres de peuples autochtones et des milieux naturels fragiles. Le pétrole que vous vendez contribuera par ailleurs à libérer davantage de CO2 dans l’atmosphère, ce qui, à terme, fait planer les risques d’un emballement climatique susceptible d’annihiler votre espèce. Vous n’en avez cure puisque vous êtes formés à penser étroitement et à court terme et que les fonds de pension qui ont investi dans votre entreprise s’attendent à des rendements élevés. Le gouvernement hésite, mais il sait qu’il aura la bénédiction des électeurs si vous vous engagez, à tort ou à raison, à créer des emplois bien rémunérés et que vous contribuez à la croissance économique. En somme, si vous faites grossir le PIB.

En d’autres termes, le PIB est l’un des emblèmes grossiers de l’économie capitaliste à travers laquelle les êtres humains produisent et distribuent des ressources entre eux.

Le PIB de plus en plus critiqué

C’est bien pourquoi il était surprenant de voir des économistes de Desjardins publier une étude économique intitulée « Et si la performance de l’économie passait par autre chose que le PIB ? ». L’étude explique d’emblée pourquoi cet « indicateur de performance » est myope puisqu’il omet de comptabiliser le travail non rémunéré, qu’il ne fait pas de distinction entre un recul ou une avancée sociale, qu’il ne comprend pas les retombées positives de certaines innovations et qu’il est aveugle face à la destruction de l’environnement.

Pourtant, le Mouvement Desjardins, l’une des institutions financières les plus puissantes du Canada, a beaucoup fait parler de lui cet été en décidant d’accorder — malgré la vive opposition de 35 de ses caisses dont les membres s’étaient mobilisés — un prêt de 145 millions à Kinder Morgan pour la construction du pipeline sans doute le plus controversé de l’histoire du Canada, le projet Trans Mountain. Desjardins apparaît alors comme souffrant de dissonance cognitive.

Le PIB doit être remplacé, comme le reste

L’étude de Desjardins prétend que la mesure du PIB a évolué à travers le temps et qu’elle demeure perfectible. Certains ont d’ailleurs cherché à mesurer le travail au noir pour avoir une mesure plus précise de la taille de l’économie. En 2014, on apprenait que l’Institut des statistiques nationales du Royaume-Uni avait réévalué le PIB de 2009 en lui ajoutant 9,7 milliards de livres afin de prendre en compte… le trafic de drogue et la prostitution. D’autres tentent de mesurer la valeur des actifs en ressources naturelles. L’évaluation monétaire de la nature est toutefois susceptible d’entraîner plusieurs effets pervers.

Desjardins explore plutôt 23 indicateurs susceptibles d’offrir un portrait plus complet de l’évolution du bien-être et du progrès. Le résultat obtenu est « bigarré » et faute d’offrir une critique robuste — on préfère par exemple parler de l’état du réseau routier plutôt que de celui du budget carbone du Québec — il contribue à battre en brèche l’hégémonie du PIB.

À la COP24 comme partout où l’on se soucie de l’impact des changements climatiques sur les sociétés humaines, on sait maintenant comment les politiques économiques n’ont pas seulement besoin d’ajustements, mais que le système économique actuel, qui repose sur la croissance à tout prix, doit être entièrement transformé. Et cesser de considérer le PIB comme l’indicateur phare de l’économie est une étape incontournable dans ce processus.

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