Concentration de la presse : qui est le monstre?
8 octobre 2013
Alors que la fusion Bell-Astral semble tourner à l’avantage de Bell, mais pas nécessairement à l’avantage du Québec – comme c’était prévisible – revenons sur le débat ayant entouré cette fusion. Maintenant que les esprits se sont calmés, on se surprend à relire la teneur de certaines déclarations du printemps dernier.
Rappelons les faits, une fois annoncée la volonté de créer un nouveau titan des médias, des voix se sont élevées contre cette concentration encore plus grande des médias du secteur télévisuel. Les plus énergiques protestations sont venues d’un regroupement de trois entreprises Cogeco, EastLink et Québecor qui, à grand renfort de publicité, ont attaqué cette fusion. On les comprend, elle crée un compétiteur majeur dans leur secteur.
Toutefois, ce qui n’a pas fini de nous étonner, c’est leur argument central : cette fusion amplifierait la concentration de la presse. Oui, vous avez bien lu, Québecor et ses alliés du moment sont contre la concentration des entreprises médiatiques. Pour mieux comprendre leur position, rappelons quelques faits.
Graphique 1 : Parts de marché des réseaux de télévision de langue française au Québec en 2010
Source : Centre d’études sur les médias, Université Laval
Une première remarque s’impose : la seule station TVA concentre plus de 25% des parts de marché. Or, ce n’est pas la seule que possède le groupe Québecor. En effet, ses parts de marché grimpent à 35% du marché total lorsqu’on y ajoute les LCN, Argent et consorts. Suite à la décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d’accepter la fusion sous certaines conditions, Bell-Astral aura une part de marché de 22,6% au Québec. En fait, en raison des demandes du CRTC, le géant Bell-Astral sera un moins gros joueur sur le marché québécois que ne l’était Astral en 2010.
Bien sûr, on nous répondra que le titan Bell-Astral se retrouve avec 35,8% des parts du marché canadien-anglais. Comme d’autres l’ont souligné à l’époque, on se demande comment une telle part de marché est une concentration qui crée un « monstre », une « machine dominante » et donnerait un avantage concurrentiel exagéré alors qu’au Québec, Québecor bénéficie d’une concentration similaire sans que cela ne pose problème.
La situation est encore plus troublante lorsqu’on ajoute à ce portrait les médias écrits, comme le montre le graphique 2.
Graphique 2 : Nombre total de lectrices et lecteurs des quotidiens francophones québécois selon la propriété (2010)
Source : Centre d’études sur les médias, Université Laval
Dans les quotidiens francophones au Québec, Québecor concentre 45% du lectorat. Les deux empires de la presse écrite détiennent ensemble plus de 80% du marché. Jamais Québecor ou Gesca n’ont dénoncé cette situation. Pourtant, pour paraphraser Pierre Karl Péladeau, on a plutôt l’impression que c’est dans ce secteur qu’on retrouve une domination aux impacts multiples permettant « d’étouffer à terme toute concurrence ».
Lorsqu’on pense au pouvoir détenu par Québecor grâce à cette concentration dans le secteur télévisuel et de la presse écrite au Québec – mais aussi dans l’édition, l’impression, la câblodistribution, la téléphonie mobile, la distribution internet et la vente au détail – on se demande, au final, qui est le véritable monstre.
Devant les protestations des entreprises et de la société civile, le CRTC a obligé Bell à se défaire de certains actifs avant d’autoriser la fusion avec Astral. Pour nous protéger de la concentration de la presse si bien dénoncée par Cogeco, EastLink et Québecor, cette solution ne devrait-elle pas s’appliquer aux autres joueurs du secteur des télécommunications?