Comment vont les gras durs?
28 novembre 2014
Le salaire des employé.e.s du secteur public défraie la manchette non seulement à cause de la loi 3, mais aussi à cause des négociations du secteur public qui approchent. Comme toujours, on présente nos fonctionnaires comme des « gras durs » profitant de conditions de travail hors du commun. L’année dernière, j’avais mis évidence les mythes que l’Enquête sur la rémunération globale de l’Institut de statistique du Québec (ISQ) venait déboulonner. Cette année encore, cette étude confirme le retard de rémunération globale des employé.e.s du public face à leurs collègues des autres secteurs. Cependant, les résultats de cette année exigent une analyse plus fine afin de bien comprendre les réactions contradictoires qu’elle suscitera.
En effet, dans son rapport publié ce matin, l’ISQ rapporte son résultat principal avec de grandes nuances : bien que le retard du secteur public québécois soit passé de 8,3 % en 2013 à 7,6 % en 2014, cette différence est non significative statistiquement. Ainsi en page 7 du résumé, l’ISQ affirme que l’écart est stable entre les 2 années. La différence salariale entre le public et le privé se maintient. Oui, avant que vous ne posiez la question, ces données incluent les avantages sociaux et les régimes de retraite.
Au-delà de la marge d’erreur qui incite l’ISQ à la prudence et lui empêche de déclarer une réduction de 0,8 point de pourcentage du retard salarial comme étant une amélioration, y a-t-il d’autre raison qui justifie la thèse du maintien de l’écart ? On peut en situer deux.
D’abord, à la lecture du rapport, il apparaît clairement que seule une très faible part de la variation de 0,8 point de pourcentage provient d’une progression des salaires dans le secteur public. En effet, si l’on compare uniquement les salaires (sans les avantages sociaux) on constate qu’en 2013, le secteur public accusait un retard de 11,7 % par rapport aux autres secteurs. Aujourd’hui, ce retard est de 11,5 %, soit une très faible diminution de 0,2 %.
Or, cette faible variation s’explique presque uniquement par le transfert des quelques 10 000 employé.e.s de l’Agence du revenu de l’autre côté de l’équation. Anciennement membres du « secteur public québécois », avec la création d’une agence autonome, ils sont désormais intégrés de la catégorie « Entreprises publiques ». C’est la première année que l’ISQ les considère de cette façon. En apportant avec eux le retard salarial hérité du public, ils viennent dorénavant réduire le niveau de rémunération de cette dernière catégorie. Incidemment, l’écart du secteur public avec les entreprises publiques apparaît comme réduit de -22,2 à -15,7 %. Pourtant, dans l’ensemble des autres secteurs, l’écart salarial a augmenté entre 2013 et 2014 (de -8,0 à -8,4% dans le privé et de -20,3 à -21,6 % au fédéral). La réduction de l’écart salarial apparaît non seulement insignifiante, mais surtout induite par un biais méthodologique.
Source : ISQ, 2014, Rémunération des salariés; état et évolution comparée, les faits saillants. Page 3
Ensuite, on constate que la différence dans l’écart de rémunération globale entre 2013 et 2014 provient surtout de changements sur le plan des avantages sociaux. L’examen des détails de l’étude permet de comprendre qu’il n’y a pas eu bonification des avantages sociaux, mais simplement une augmentation des coûts pour l’employeur. Le taux de cotisation qui est imputé au gouvernement pour le RRÉGOP, régime de retraite qui protège la très grande majorité des employé.e.s du secteur public, représente maintenant 7,6 % de la masse salariale. Ce nouveau taux qui prend en compte la toute dernière analyse actuarielle vient gonfler les dépenses du gouvernement liées aux avantages sociaux de 1 %. Cette majoration ne sert pas à augmenter les avantages du RREGOP, mais uniquement à absorber les pertes engendrées par la crise financière de 2008 et les déboires de la Caisse de dépôts et placements.
Il faut rappeler que cet ajustement nécessaire au bien-être financier du régime (rappelons qu’il est capitalisé à plus de 95 %) a été appliqué du côté des employé.e.s dès les lendemains de la crise. En effet, le taux de cotisation pour les employé.e.s est passé de 8,19 % en 2010 à 9,84 % en 2014.
Comme cette étude sert de base à bien des arguments de négociations tant pour les employé.e.s du secteur public que pour les maires des municipalités, il nous apparaît important d’en décortiquer les éléments sans sauter aux conclusions. Surtout celles qui sont sans cesse répétées dans l’espace public.