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Comment réussir la démondialisation?

7 avril 2020

  • Eric Martin

Les signataires du Manifeste québécois pour la démondialisation, publié en 2018, étaient loin de s’attendre à entendre le premier ministre François Legault parler deux ans plus tard d’une « démondialisation » rendue soudainement nécessaire par l’épidémie de COVID-19. Il faut certainement se réjouir de voir une telle idée faire son chemin, mais il faut également se garder de se réjouir trop rapidement. On peut vouloir démondialiser pour remplacer le capitalisme globalisé par une démondialisation néolibérale et un capitalisme néo-national protectionniste, centralisateur et autoritaire. Or, démondialiser devrait plutôt vouloir dire aller vers une société postcroissance grâce à la mise en place de nouvelles institutions économiques et politiques décentralisées et démocratiques.

L’impasse de la globalisation

La crise actuelle montre que la globalisation capitaliste conduit à une « impasse », pour reprendre les termes du sociologue Michel Freitag. Ceci parce qu’elle est fondée sur un mode de développement irrationnel qui ne peut pas durer. Ce mode de production, fondé sur le fantasme de réaliser la croissance infinie de la valeur en faisant fi des limites d’une planète pourtant finie, engendre aussi bien des inégalités socioéconomiques inédites qu’une profonde crise écologique (dont on sait maintenant qu’elle est liée à l’actuelle crise sanitaire). Il détruit l’autonomie des individus, des localités, des régions et des pays pour donner le pouvoir à des entreprises multinationales, à des marchés cybernétisés et à des organisations supranationales (FMI, OMC, Banque Mondiale) qui font circuler marchandises et capitaux partout sur le globe au bénéfice du 1% le plus riche.

Un retour à des circuits courts

Démondialiser, cela veut d’abord dire devoir accepter la faillite des fausses promesses de la « mondialisation heureuse » et repenser l’organisation de nos institutions économiques et politiques. Nous voyons actuellement un mouvement de retour à la souveraineté de l’État-nation, ce dernier pouvant mettre en place des mesures protectionnistes et intervenir dans l’économie d’une manière qui semblait impensable suivant le catéchisme mondialiste qui, il y a encore quelques semaines, paraissait inébranlable. Ceci peut conduire à certaines bonnes choses : valorisation de l’achat local et des circuits courts, de la souveraineté alimentaire et agricole, relocalisation de certaines activités productives, soutien économique aux individus précarisés par la crise, etc. Il ne faut cependant pas être dupe et comprendre que, tout comme durant la crise de 2008, on fait appel à l’État pour sauver le capitalisme néolibéral de son propre effondrement.

La démondialisation néolibérale : repli national et néolibéralisme autoritaire

Pour nombre de gouvernements actuels, démondialiser signifie revenir à une forme de capitalisme néo-national, autoritaire et protectionniste. Ceci n’est pas incompatible avec la mise en place de mesures d’austérité néolibérale après la crise ni avec l’intensification d’une révolution numérique conduisant à une emprise croissante du « technocontrôle » sur le monde du travail, de l’enseignement et autres, aussi bien qu’à la surveillance des populations (géolocalisation, reconnaissance faciale, Big Data, intelligence artificielle). La relance projetée visera à soutenir l’entreprise privée locale, à défendre Bombardier contre Gulfstream, pour faire image. L’objectif de l’intervention de l’État sera toujours la poursuite de la croissance économique; simplement, vu l’échec de la globalisation, le capitalisme prendra une forme relocalisée ou renationalisée, ce qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec le développement d’idéologies nationalistes xénophobes.

Une démondialisation écodécentraliste

Une véritable démondialisation ne constitue pas seulement un changement d’échelle, ou un repli qui permettrait de substituer à un capitalisme globalisé en faillite un capitalisme national doublé d’un néolibéralisme autoritaire. Il faudrait que cela permette de récupérer la souveraineté populaire, c’est-à-dire la capacité du peuple de décider de ses propres affaires. Plutôt que de miser sur le renforcement de l’État central à Québec ou sur l’entassement des gens dans des mégalopoles marquées par le gigantisme et la pollution, il faut penser (suivant l’approche communaliste et l’écologie sociale de Murray Bookchin, la théorie du Commun de Pierre Dardot et Christian Laval ainsi que la défense des communs chez les écoféministes) à la création, par initiatives locales (et donc sans attendre que cela vienne d’en haut) d’espaces et d’institutions alternatives décentralisées. Ces institutions pourront redonner aux communautés, au niveau local de la municipalité et dans les régions dévitalisées de la périphérie, les conditions de leur autonomie et de leur autogouvernement politique et économique.

Ceci permettra d’orienter démocratiquement la production vers une décroissance, vers la production de richesse réelle plutôt que de valeur strictement monétaire (ou valeur abstraite), vers la satisfaction des besoins du plus grand nombre plutôt que la croissance infinie de la valeur au bénéfice d’une minorité. Ce retour à une économie de proximité permettrait aussi d’organiser la production de manière plus écologique et en dehors des formes habituelles (autogestion plutôt qu’entreprise hiérarchique, par exemple). Évidemment, ces assemblées municipales devront être coordonnées entre elles au plan régional et national, ce qui serait possible à travers une forme de confédéralisme. Cette relocalisation de l’économie doit s’accompagner de la construction de rapports de solidarité internationale afin de remplacer la guerre économique actuelle entre les pays par l’entraide et la coopération.

Démondialiser ne signifie donc pas « faire du capitalisme en plus petit ». Il s’agit d’une occasion, comme le dirait Bookchin, de remettre en question les formes de domination et de hiérarchie qui font que l’humain domine la nature, mais aussi qu’il cherche à dominer les autres humains (exploitation du travail, sexisme, racisme, colonialisme, etc.) et à posséder davantage de pouvoir et de ressources. Ceci suppose de repenser également notre rapport à l’éducation pour former non pas simplement de la main-d’œuvre pour les entreprises, mais des citoyens et citoyennes dotés d’autonomie et capables de participer à la démocratie économique et politique, à « l’autogestion de toute la société », comme l’aurait dit le grand sociologue québécois Marcel Rioux. Ceci n’est qu’une esquisse, mais montre bien comment démondialiser signifie, contre la globalisation de l’immonde, bien autre chose qu’un simple changement d’échelle: une volonté de refaire monde en prenant soin du vivant comme de la nature.

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