Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Comment définir une position progressiste sur les transferts canadiens en santé ?

22 octobre 2016

  • Guillaume Hébert

Faut-il se ranger du côté de Gaétan Barrette et des revendications historiques du Québec ? Ou faut-il voir en Jane Philpott un rempart désespéré contre le travail acharné de démolition du système socio-sanitaire québécois par le premier ? Ou faut-il adopter la simplicité volontaire libertarienne de l’Institut économique de Montréal (IEDM) qui proposait dans Le Devoir jeudi de ne pas trop s’en faire avec les transferts et de plutôt accélérer la mise en compétition des hôpitaux ?

L’actuel débat sur les transferts fédéraux de santé accapare beaucoup d’attention. Et pour cause, les sommes en jeu sont considérables, elles soulèvent des questions idéologiques importantes, et les confrontations entre Ottawa et les provinces sur cet enjeu donnent parfois l’impression de dater du paléolithique.

Le nœud

Le nœud du problème actuel provient de la décision unilatérale du gouvernement conservateur de réduire à 3% la croissance annuelle des transferts fédéraux aux provinces pour la santé.

Plusieurs nourrissaient l’espoir que le gouvernement libéral de Justin Trudeau révise la décision de son prédécesseur. Mais la ministre fédérale de la santé, Jane Philpott, a annoncé que son gouvernement avait décidé de maintenir l’approche conservatrice, concédant seulement de possibles montants extra en fonction de priorités décidées par Ottawa, notamment les soins à domicile.

La ministre Philpott défend sa position en affirmant qu’elle veut vérifier où va l’argent. Le premier ministre Trudeau lui-même dit souhaiter que l’argent n’aille pas dans des « programmes de je-sais-pas-quoi ».

Les provinces sont évidemment mécontentes de voir Ottawa ainsi réduire les transferts et s’ingérer dans leurs affaires. Le ministre de la santé du Québec, Gaétan Barrette, y voit peut-être l’occasion de prendre sa revanche sur la ministre Philpott. Rappelons que c’est elle qui, encore tout récemment, l’aurait tenu en échec en le forçant à interdire les frais accessoires qu’il cherchait plutôt à encadrer (le véritable crédit de cette manœuvre revient à la FADOQ et l’avocat Jean-Pierre Ménard).

Le ministre Barrette a donc brandi la menace souverainiste pour battre en brèche la ligne dure de Philpott sur l’enjeu des transferts. « Si vous intervenez dans un champ de compétence des provinces, dit-il en substance, vous éveillerez les hordes nationalistes et leur nouveau chef qui s’abattront sur vos campagnes, pilleront villes et villages et emporteront avec eux femmes et enfants ».

Reconnaissons que c’est un pensez-y bien.

La Saskatchewan

Au-delà des affrontements médiatiques, on s’aperçoit que la posture de la ministre Philpott est fragile lorsqu’on creuse la raison d’être historique des transferts en santé. En effet, le gouvernement fédéral a depuis longtemps cessé de respecter les engagements qui l’avaient mené à s’introduire dans ce champ de compétence des provinces.

L’espace manque ici pour refaire la fabuleuse histoire de la bataille pour une santé gratuite dans la Saskatchewan des années 40, 50 et 60. Il faut en retenir néanmoins que si l’État fédéral décide de supporter les provinces à développer des systèmes de santé publics, c’est parce que les populations réclament des services de santé et que les partis politiques sentent que le vent est si fort qu’ils s’engagent à y consacrer de l’argent. C’est ainsi qu’Ottawa s’engage en 1957 à supporter financièrement les provinces en assumant 50% du coût d’une assurance-hospitalisation (gratuité de l’hôpital). En 1966, toujours bousculé par l’avant-garde saskatchewanaise, le gouvernement fédéral s’engage à défrayer 50% du coût de l’assurance-maladie (gratuité des services offerts par les médecins).

Au Québec, les gouvernements unionistes résistent dans un premier temps à ces intrusions du fédéral dans un champ de compétence provincial. Leurs successeurs libéraux finissent toutefois par rejoindre les programmes fédéraux.

La réforme permanente

Depuis, la complexe histoire des transferts fédéraux de santé passe par une série de réformes administratives aussi peu digestes que le principal mécanisme de transfert fédéral, la péréquation.

Il faut néanmoins retenir qu’à travers ces réformes successives, en particulier celle du milieu des années 90 lorsqu’on combine différents transferts sous le « Transfert canadien en matière de santé et de programme sociaux (TCSPS) », la contribution fédérale décline. La baisse subite de 1995 est drastique et pousse les provinces à se lancer dans des coupes massives qui affectent gravement la capacité des provinces à rendre les services de santé.

Le niveau des transferts fédéraux pour la santé remonte durant les années 2000. On peut comprendre l’entente de dix ans que signera en 2004 Ottawa avec les provinces comme une façon de compenser un tant soit peu pour le retrait des années 90.

Chose certaine, comme la contribution fédérale devait se chiffrer à 50% des dépenses de santé des provinces (sans interventionnisme), on ne peut affirmer comme on l’a souvent lu ces derniers jours que la croissance annuelle de 6% des transferts est exagérée. Au contraire, cette augmentation devrait être comprise comme un rétablissement progressif de l’engagement fédéral qui ne se situe plus aujourd’hui qu’à environ 20% des dépenses des provinces.

Selon les projections du Directeur parlementaire du budget à Ottawa, cette proportion pourrait diminuer à moins de 15% d’ici 25 ans si l’on maintient l’approche conservatrice comme le propose Philpott.

Que faire avec les transferts ?

Cette dernière a cependant raison de croire que les transferts de santé pourraient servir à financer autre chose. Après tout, durant les années 2000, le gouvernement péquiste de Bernard Landry a baissé considérablement les impôts des Québécois-e-s alors que les transferts en santé étaient à la hausse, puis le gouvernement libéral de Jean Charest a à son tour profité de ce que le gouvernement Harper voyait comme un règlement du déséquilibre fiscal pour diminuer les impôts. Le duo de médecins spécialistes Couillard et Barrette sera-t-il tenté aujourd’hui de profiter d’une nouvelle hausse de transferts pour inventer un nouveau programme de je-sais-pas-quoi afin d’envoyer cet argent dans les poches des médecins québécois ?

Le fait est que, même si Québec décidait de payer un hélicoptère personnel à chaque médecin sous prétexte d’améliorer l’accès à la santé, ce n’est pas à la ministre fédérale de trancher sur la validité ou non des choix du Québec dans la matière. Les Québécois·e·s finiront tôt ou tard par sanctionner les médecins du gouvernement libéral.

Il est indéniable que les transferts fédéraux de santé ont joué un rôle important dans le développement des systèmes de santé du Québec et des autres provinces canadiennes. Il peut se faire sans interférer dans les pouvoirs détenus par les provinces, si et seulement si le gouvernement fédéral n’omet pas ses engagements du passé qu’il n’honore pas aujourd’hui, ni par le niveau des transferts, ni par les conditionnalités qu’il dit vouloir imposer.

Gare aux détournements

Quant à ce qu’avancent Youri Chassin et Frederik Roeder de l’IEDM, il est vrai qu’il y a une bonne part de malfinancement dans le système de santé et donc pas seulement du sous-financement. S’il est farfelu de croire qu’on pourrait faire abstraction des transferts fédéraux actuels et s’en tirer par un recours accru au financement axé sur le patient (nom de code pour la mise en concurrence des établissements de santé), on pourrait certainement réaffecter de vastes ressources financières afin de répondre aux besoins de la population plutôt que de soumettre notre système à des indicateurs de performance et d’embaucher une nouvelle couche de personnel administratif pour les mettre en place.

Plutôt que de confier des sommes d’argent colossales à des médecins à qui l’on accorde un statut de seigneur dans le système socio-sanitaire, on pourrait réduire ce poste de dépenses et embaucher plus de personnel et ainsi redonner un visage plus humain à un système qui s’inspire toujours davantage de la gestion de l’entreprise privée. On pourrait réduire les dépenses et le recours en médicaments et développer davantage des services locaux et communautaires capables de faire de la prévention et de poser des diagnostics plus justes sur les maux qui affectent les Québécois·e·s.

Et oui, il faut absolument dépenser davantage dans les soins à domicile et les soins de longue durée, comme le propose la ministre Philpott. On pourrait utiliser les transferts fédéraux pour ça, tiens.

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous