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Année électorale : les affirmations douteuses du PLQ

13 janvier 2018

  • Philippe Hurteau

En cette année électorale, chaque parti voudra parfaire son image de marque. Au Parti libéral du Québec (PLQ), on cherchera à se défaire une fois pour toutes de l’étiquette gênante du « gouvernement de l’austérité ». Pas vraiment parce que le parti de M. Couillard regrette les coupures qu’il a imposées, mais seulement parce qu’il est difficile de se faire réélire en trainant avec soi l’image d’un incendiaire.

Dans ce texte, je propose de vérifier la validité d’un mantra que le ministre des Finances répète tous les jours depuis près de quatre ans : il n’y a pas d’austérité au Québec, mais simplement un ralentissement du rythme d’augmentation des dépenses.

Qu’en est-il du rythme de dépenses du Québec?

De prime abord, le graphique ci-bas semble donner raison au ministre Leitão. De 2003-2004 à 2013-2014, soit la décennie qui précède l’entrée en fonction du gouvernement Couillard, la croissance moyenne des dépenses de programmes était de 4 %. À partir de 2014-2015, la moyenne d’augmentation diminue à 2,8 %. Si l’une des caractéristiques de l’austérité est l’imposition d’une réduction des dépenses, il n’y en aurait donc pas eu, puisque sous cet angle, la croissance ne ferait que ralentir.

Variation des dépenses de programmes, 2003-2004 à 2017-2018, en %


Source : Budget du Québec, 2003-2004 à 2017-2018.

Or, ce premier constat est insuffisant. Certes, les dépenses augmentent, mais augmentent-elles suffisamment?

Pour simplifier un peu les choses, disons que le gouvernement agit principalement à titre d’acheteur. Il achète des biens, des produits, des infrastructures, du travail, etc. Au bout du compte, c’est l’ensemble de ces achats qui permet d’offrir des services à la population.

La question à se poser est alors la suivante : est-ce que le volume d’achats du gouvernement québécois permet d’offrir les mêmes services à la population? Si la réponse est oui, cela signifie que la population peut s’attendre à recevoir des services équivalents d’une année à l’autre. Si la réponse est non, le gouvernement devra appliquer des compressions puisque ses dépenses sont insuffisantes pour reconduire la masse des services qu’il pourvoit.

Pour répondre à cette question, il faut ajouter deux éléments à l’analyse. D’abord, il faut tenir compte de l’inflation afin de prendre en considération l’évolution des coûts d’acquisitions du gouvernement. Ensuite, il faut inclure la croissance de la population dans nos calculs comme indicateur de variation de l’utilisation des services. Si d’année en année, le nombre de Québécois·e·s augmente, il faut, pour maintenir les mêmes services à la population, rehausser chaque fois le financement destiné à ces services.

Alors, le gouvernement Couillard a-t-il augmenté ou diminué la capacité d’action de l’État? La réponse : un peu des deux.

Pour la période 2014-2015 à 2017-2018, on constate une augmentation de 2,9 points de pourcentage de la valeur réelle des dépenses de programmes. Le niveau des dépenses prévu par Québec en 2017-2018 pour financer les services dépasse donc celui de 2014-2015.

Valeur réelle de la variation des dépenses de programmes, 2003-2004 à 2017-2018, en %

Graphique 2
Source : Budget du Québec, 2003-2004 à 2017-2018; CANSIM, tableaux 326-0021 et 051-0001.

Il ne faut toutefois pas donner raison trop vite au ministre des Finances. D’abord, parce que l’évaluation fournie ici tend à favoriser les dires du gouvernement. Ce que le gouvernement achète peut lui coûter plus cher que la seule variation de l’inflation en raison de la nature de ses achats : salaire de ses employé·e·s, acquisition d’infrastructures, coûts énergétiques, etc. L’utilisation de l’inflation tend donc à présenter une évaluation des coûts de système plus basse que la réalité.

Dans le même ordre d’idée, la croissance de la population comme indicateur pose le même type de limite. Le vieillissement de la population ou l’augmentation importante des cas d’élèves handicapés ou qui présentent des troubles d’apprentissage dans les écoles du Québec sont autant de facteurs qui poussent les coûts de système au-delà de ce qu’indique l’inflation.

D’ailleurs, M. Couillard a répété à plusieurs reprises qu’il était nécessaire de maintenir l’augmentation des transferts fédéraux en santé à 6 % par année, considérant qu’une indexation à 3 % est insuffisante. Or, les données utilisées pour tenir compte de  l’influence de l’inflation et de la hausse de la population sont systématiquement inférieures à 3 % entre 2013-2014 et 2017-2018! Ce que cela montre c’est que contrairement à ce qu’affirme M. Leitão, une croissance des dépenses à 4 % ou plus n’est pas nécessairement le fait d’un gouvernement qui aurait perdu le contrôle de son budget, mais bien d’un gouvernement sensible aux fluctuations des besoins de la population.

Tout ceci indique que le Québec a bel et bien traversé une période d’austérité sous le gouvernement Couillard et ce que le ministre des Finances désigne pudiquement comme un « ralentissement du rythme des dépenses » ne s’est pas passé sans heurt. En fait, comme mon collègue Minh Nguyen l’a si bien montré dans son « Observatoire de l’austérité », ce « ralentissement » a été atteint au prix de 4 G$ de coupes dans les services.

Et l’austérité dans tout ça?

Cependant, malgré les limites du présent exercice énoncées plus haut, il est possible de noter que le Québec a malgré tout traversé une période d’austérité. Seulement, peut-être pas au moment où il est convenu de la situer.

En fait, pendant la période 2010-2011 à 2015-2016, la valeur réelle des dépenses de programmes a chuté de 3,1 points de pourcentage, pour une diminution annuelle moyenne de 0,6 point. En fait, la seule exception à cette tendance à la baisse fut l’unique budget Marceau de 2013-2014.

Le Québec a donc bel et bien traversé une période d’austérité sous les deux derniers gouvernements libéraux et les « réinvestissements » à saveur électorale des deux dernières années ne changent rien à ce constat. Surtout si l’on considère que plusieurs des services touchés (CPE, CLD, écoles publiques, CLSC, etc.) ne figurent pas sur la liste des priorités du gouvernement.

Il apparait assez clairement alors que la stratégie libérale de gestion des dépenses de programmes, que le premier ministre soit Philippe Couillard ou bien Jean Charest, est de viser leur diminution afin d’atteindre trois objectifs : financer des baisses d’impôt, dégager une marge de manœuvre pour augmenter les versements au Fonds des générations et abaisser la capacité de l’État d’organiser des services sociaux (santé, éducation, etc.) dignes de ce nom.

Ajoutons un quatrième objectif, plus circonstancié : la mise en place d’une stratégie de gestion des dépenses publiques soumise aux impératifs du cycle électoral. Le présent mandat du gouvernement Couillard pourrait en ce sens servir de véritable manuel d’instruction : deux ans de compressions après les élections, deux ans de « réinvestissements » ciblés avant les élections. Et après, on se demande pourquoi la population décroche de la politique…

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