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Budget fédéral 2025: un Canada assujetti au secteur privé et à l’industrie militaire

4 novembre 2025


Le ministre des Finances François-Philippe Champagne présentait aujourd’hui le premier budget du gouvernement Carney. Alors que Mark Carney avait fait campagne sur sa capacité à faire face à l’administration Trump, le premier ministre cède à plusieurs demandes de ce dernier en augmentant massivement les dépenses militaires et les contrôles aux frontières. Il en fait aussi très peu pour développer l’autonomie économique du Canada. Le budget mise plutôt sur des mesures pour attirer les capitaux privés. Il contient très peu de mesures pour protéger l’environnement et il prévoit des compressions importantes dans presque tous les ministères. Cet exercice budgétaire marque donc une rupture par rapport à l’approche qui était mise de l’avant par le gouvernement Trudeau dans le cadre de son entente avec le NPD.

Cadre financier

Ce budget prévoit pour 2025-2026 des dépenses de 585,9 milliards de dollars, des revenus de 507,5 milliards de dollars et un déficit de 78,4 milliards de dollars. Encore une fois, suivant la coutume néolibérale, la présence d’un déficit amène l’État à vouloir réduire ses dépenses plutôt qu’à chercher comment augmenter ses revenus. Alors que le gouvernement canadien pourrait développer de nouvelles sources de revenus pour financer les programmes et services, il fait le choix de réduire ses dépenses en imposant à la quasi-totalité des ministères des compressions budgétaires qui les obligent à réaliser des économies de 15% sur trois ans. Seuls les ministères suivants sont exemptés de ces cibles d’austérité : Défense nationale, Services aux autochtones, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada ainsi que Femmes et égalité des genres. L’Agence des services frontaliers du Canada et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sont aussi exemptées, des exemptions qui révèlent bien le virage sécuritaire et militaire du gouvernement fédéral.

Bien que le budget prétende que les compressions auront surtout pour effet de réduire la bureaucratie et d’éliminer les inefficiences, on comprend vite que des mesures pertinentes passeront à la hache dont les suivantes:

  • C’est le cas par exemple du programme 2 milliards d’arbres, qui sera aboli. 
  • Statistique Canada va aussi réduire la fréquence de ses collectes de données. 
  • Patrimoine canadien va réduire le financement accordé au Fonds du Canada pour les espaces culturels, un fonds très populaire qui vise à améliorer l’accès des Canadiens et des Canadiennes aux arts et aux musées. 
  • Ressources naturelles Canada mettra fin à la Subvention canadienne pour des maisons plus vertes. 
  • L’Agence canadienne d’inspection des aliments compte quant à elle réduire ses activités de recherche et ses mesures diagnostiques, ce qui peut soulever des craintes quant à la salubrité et à la sécurité des aliments. 

De manière générale, même lorsqu’elles ne mènent pas directement à l’abolition de programmes, les compressions prévues risquent d’affaiblir la capacité d’agir des agences fédérales dans des domaines essentiels comme la prévention des pandémies, la protection des milieux naturels, la sûreté du transport aérien et la recherche scientifique.

Par ailleurs, le gouvernement se prive de plusieurs sources de revenus potentielles. L’annulation de la hausse prévue de l’imposition des gains en capital avait déjà été annoncée au lendemain de l’élection. À cela s’ajoutent des baisses d’impôt pour la classe moyenne et l’élimination de la TPS pour l’achat d’une première habitation. Ensemble, ces trois mesures qui ne profitent qu’à une minorité de la population feront perdre environ 10 milliards de dollars par année au gouvernement.

Enfin, alors que le Canada possède un ratio fonctionnaires fédéraux/population comparable aux autres fédérations, le gouvernement Carney se fixe comme objectif de supprimer des emplois dans la fonction publique. Le budget prévoit que cela se fasse principalement par l’attrition et les départs volontaires, mais l’ampleur de la baisse envisagée laisse entrevoir des licenciements dans le futur. Le gouvernement se donne comme objectif d’atteindre 330 000 postes en 2028-2029, ce qui nécessiterait une réduction de 10% ou 40 000 postes par rapport au sommet de 368 000 atteint en 2023-2024. Il est clair que cet objectif ne pourra être atteint sans nuire à la qualité des services offerts.

Militarisation et répression

Le budget 2025 prévoit un montant additionnel de plus de 16 milliards de dollars par année pour les Forces armées canadiennes. Le quart de ce montant servira à recruter davantage de militaires et à hausser leurs salaires. La plus grande part du financement servira à développer « l’infrastructure de défense » et à acheter de l’équipement militaire.

Bien que le gouvernement se targue d’adopter une stratégie industrielle de défense qui créera des emplois canadiens, rappelons que les études montrent que les retombées économiques des dépenses militaires sont moins grandes que celles d’investissements dans des secteurs comme l’éducation, la santé et la recherche scientifique. Les dépenses militaires peuvent même avoir un effet négatif sur l’économie à long terme puisqu’elles détournent des ressources qui auraient pu être investies dans des domaines plus structurants. Avec les compressions annoncées pour financer la hausse des dépenses militaires, on assiste précisément à la mise en place de ce détournement.

Par ailleurs, le gouvernement met sur pied l’Agence de l’investissement pour la défense, qui vise à accélérer les achats militaires. On sait que les dépenses pour l’achat d’équipement militaire sont majoritairement effectuées aux États-Unis. Puisque le développement de chaînes d’approvisionnement canadiennes ne peut se faire du jour au lendemain, hausser les dépenses militaires implique donc en grande partie de subventionner des entreprises américaines, une décision douteuse en contexte de guerre commerciale avec l’administration Trump.

Le budget Champagne prévoit une autre mesure qui plaira à Trump : le renforcement des contrôles à la frontière pour lutter contre le trafic transfrontalier d’armes à feu et de drogues illicites, notamment le fentanyl. Pourtant, seule une infime proportion du fentanyl entrant aux États-Unis provient du Canada. La lutte contre la criminalité se concrétisera entre autres par l’embauche de 1 000 agent·e·s des services frontaliers et 1 000 agent·e·s de la GRC.

Logement

Alors que fait rage une crise du logement et de l’itinérance dans de nombreuses villes canadiennes, notons que, parmi les quatre catégories « d’investissements générationnels » prévus dans le budget, c’est le logement qui reçoit le montant le plus faible. En effet:

  • 23 milliards de dollars par année sont octroyés aux infrastructures;
  • 22 milliards de dollars par année sont consacrés à la productivité et la compétitivité;
  • 6 milliards de dollars par année vont à la défense;
  • le logement ne reçoit que 5 milliards de dollars annuellement. 

La mise en œuvre de la stratégie libérale en logement est confiée à la nouvelle agence Maisons Canada. S’il faut saluer la volonté du gouvernement Carney de privilégier la construction de logements hors marché, force est d’avouer que la stratégie retenue pour ce grand chantier de construction a peu de chances d’atteindre ses objectifs. Il est à prévoir que Maisons Canada ne puisse répondre à la demande de logements abordables, car l’agence livre à la cuillère ce qui devrait être fourni à la pelle : ses critères permettent de lancer et de financer des projets peu efficaces en termes de quantité de logements abordables. En guise d’exemple, le premier projet financé par Maisons Canada n’offrira que 40% de logements abordables. Le gouvernement se retrouve donc à financer des projets qui ajouteront potentiellement plus de logements non abordables sur le marché.   

Environnement

Les seules mesures environnementales annoncées dans le budget Carney sont placées sous la rubrique « Stratégie de compétitivité climatique du Canada », comme si la crise écologique n’était qu’une opportunité d’affaires et non une menace existentielle pour la vie et la santé de tous et toutes.

Le gouvernement annonce son intention d’affaiblir les dispositions qui protègent les consommateurs et consommatrices contre l’écoblanchiment des compagnies canadiennes. C’est donc en toute cohérence que le gouvernement se lance lui-même dans une entreprise d’écoblanchiment.

En premier lieu, il reprend l’astuce de Stephen Harper qui consiste à insister sur « l’intensité carbone » de l’industrie pétrolière plutôt que sur ses émissions absolues. Il s’agit d’une manière de prétendre qu’il y a progrès quand les émissions par baril de pétrole diminuent alors que la production globale augmente. Une étude majeure publiée dans Nature avait pourtant conclu que la majeure partie des réserves pétrolières du Canada devait rester enfouie pour que l’on ait des chances de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C (l’objectif de l’Accord de Paris, qui fête cette année son 10e anniversaire). Carney en était d’ailleurs pleinement conscient avant d’être premier ministre. Il affirmait que « [d]ans le cadre de la transition écologique, il existe une série d’actifs potentiellement très importants qui seront dévalués, abandonnés ». Où est le Mark Carney écologiquement lucide qui admettait que la transition énergétique impliquait nécessairement une dévaluation importante des actifs fossiles tels que les sables bitumineux et le gaz de schiste au Canada? La décarbonation réelle de nos sociétés exige en effet une transformation profonde de l’économie fossile, où les actifs reliés aux sables bitumineux, par exemple, connaîtront une dévaluation financière qu’il s’agit de planifier selon les principes d’une transition juste. Le premier budget Carney nous éloigne de cette avenue et maintient la dépendance de l’économie canadienne à l’égard de l’industrie fossile.

Autre exemple d’écoblanchiment : la volonté de « [s]outenir les projets de minéraux critiques » sous prétexte qu’il s’agit de stimuler la transition vers des énergies renouvelables alors que ces minéraux serviront en grande partie à alimenter l’industrie militaire et le secteur numérique, des industries particulièrement polluantes. L’extraction des minéraux critiques se fait d’ailleurs au prix de la dévastation des espaces naturels, souvent en territoires autochtones non cédés.

Le budget Carney ne dit presque rien au sujet de mesures environnementales dont l’efficacité est démontrée, comme la restauration des milieux naturels ou le développement du transport en commun. Le budget annonce même une réduction du Fonds pour le transport en commun du Canada. Il prévoit néanmoins environ 850 millions de dollars par année pour le projet de développement du train à grande vitesse (TGV) Québec-Windsor.

Alimentation

Alors que l’insécurité alimentaire est en hausse au pays, notamment en raison des profits excessifs accumulés par la poignée d’entreprises qui contrôlent la distribution alimentaire, le gouvernement Carney annonce heureusement que le programme national d’alimentation scolaire deviendra permanent. Or, le budget maintient le montant d’environ 200 millions de dollars par année prévu initialement, alors que l’IRIS a calculé que des investissements annuels de 7,4 milliards de dollars (soit 37 fois plus!) seraient nécessaires pour un véritable programme universel. Un plan ambitieux d’approvisionnement local dans le cadre du programme d’alimentation scolaire serait pourtant une bonne manière de soutenir les producteurs agricoles et de développer l’autonomie alimentaire du Canada face aux États-Unis.

Le budget emprunte plutôt la direction inverse en prévoyant des compressions de 15% sur trois ans à Agriculture et Agroalimentaire Canada. La recherche scientifique est particulièrement visée.

Assurance-médicaments

Le budget 2024 concrétisait la création d’un programme national d’assurance-médicaments, contribuant ainsi à combler un retard gênant puisque le Canada était le seul pays riche doté d’une assurance-maladie qui n’inclut pas l’assurance-médicaments. L’année dernière, l’IRIS s’inquiétait toutefois que le budget ne comprenne aucune indication quant au plein déploiement d’un programme qui couvrirait l’ensemble des médicaments. Cette année, le budget est encore plus inquiétant à cet égard puisque le régime d’assurance-médicaments y est à peine évoqué. Sera-t-il pérennisé? Quel montant lui sera attribué? Un tel régime pourrait contribuer à promouvoir l’autonomie du Canada en matière de santé puisqu’il est démontré qu’un assureur unique détient un meilleur pouvoir de négociation par rapport aux entreprises pharmaceutiques. Cela permet de réduire le coût des médicaments et, ce faisant, de garder plus d’argent dans les poches des Canadien·ne·s plutôt que de le transférer à des multinationales pharmaceutiques.

Intelligence artificielle

Malgré les risques éthiques et politiques liés à l’intelligence artificielle (IA), malgré l’absence d’un réel débat national sur la question et encore moins d’un consensus social et malgré les conséquences environnementales de cette technologie, le gouvernement Carney impose et étend l’utilisation « à grande échelle » de l’intelligence artificielle au sein de la fonction publique. L’engouement du gouvernement fédéral est tel que le terme revient à 40 reprises dans le document. Le déploiement de l’IA dans ce contexte poursuit un objectif précis : la réduction des dépenses. En effet, l’intelligence artificielle est invoquée pour « optimiser les processus ». Dans le budget Carney, l’IA devient un outil de rigueur budgétaire.

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