À partir de ce matin, les Québécoises travaillent gratuitement pour le reste de l’année
1 Décembre 2021
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Malgré les gains réalisés par les Québécoises au cours des dernières décennies en matière d’égalité et d’équité salariale, les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) montrent qu’il existe encore aujourd’hui un écart de rémunération non négligeable entre les femmes et les hommes au Québec : en 2020, la rémunération horaire moyenne des premières (26,98$) représentait 91,9 % de celle des seconds (29,36$). Rapporté sur une année, cet écart signifie symboliquement qu’en date du 1er décembre à 10h26 et pour le reste de l’année, les femmes du Québec travailleront gratuitement, pour la seule raison qu’elles sont des femmes.
Précisons d’emblée que l’écart de 8,1 % entre les rémunérations féminine et masculine concerne la rémunération horaire moyenne. Puisque les femmes sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel, l’écart est beaucoup plus grand lorsqu’on compare le revenu annuel moyen : en 2019, le revenu total des femmes (39 800$) était 23,8 % plus faible que celui des hommes (52 200$). Selon cette mesure, c’est donc à partir du 5 octobre que les femmes du Québec commencent leur période de travail gratuit.
Notons aussi que l’écart de rémunération horaire est exceptionnellement faible pour l’année 2020 au Québec. Au cours de la dernière décennie, cet écart a oscillé autour de 10 %, et la date à laquelle les Québécoises entamaient leur période de « bénévolat forcé » se situait plus près du 20 novembre que du 1er décembre.
Il est important d’insister sur le fait que cet écart se manifeste systématiquement, quelles que soient les variables considérées. Ainsi, lorsqu’on compare deux personnes appartenant à la même tranche d’âge, au même niveau de scolarité, au même statut d’emploi (permanent ou temporaire), au même niveau de compétence, à la même durée d’emploi, travaillant dans des établissements de même taille, dans le même secteur d’appartenance (public ou privé) ou dans la même industrie, les femmes sont dans tous les cas sous-rémunérées par rapport aux hommes. Une des seules variables qui semble avoir un impact significatif sur cet écart est la présence syndicale : en 2020, l’écart salarial entre les hommes et les femmes était presque inexistant pour les employé·e·s syndiqué·e·s.
La variable de la syndicalisation peut sans doute expliquer en partie un autre des constats qui ressort des données publiées par l’ISQ. Le graphique suivant montre en effet que, si le Québec n’a pas encore atteint l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, il fait néanmoins beaucoup mieux à cet égard que la province voisine de l’Ontario et que l’ensemble du Canada.
On constate ainsi que depuis 1997, l’écart de rémunération horaire moyenne entre les Québécoises et les Québécois est beaucoup moins marqué qu’entre les femmes et les hommes ontarien·ne·s et canadien·ne·s. En fait, pour reprendre l’analogie présentée dans l’intitulé de ce billet, on pourrait dire qu’en 2020, les femmes du Québec ont gagné près de deux semaines de rémunération par rapport à leurs sœurs de l’Ontario et du Canada puisque, dans ces deux provinces, c’est respectivement à partir du 18 et du 19 novembre que les femmes ont commencé à travailler pour des prunes. Les Québécoises se comparent aussi avantageusement aux Françaises pour qui, cette année, le travail non rémunéré a débuté en date du 3 novembre à 9h22 (précisons toutefois que les données sur la France n’incluent pas les employé·e·s de l’administration publique et de la défense et ne sont donc pas tout à fait comparables avec les données québécoises). La dernière fois qu’un tel cas de figure s’est vu au Québec, c’était en 2002.
Or, une des choses qui distingue le Québec de ces autres provinces, c’est le taux de syndicalisation des travailleuses et des travailleurs qui, comme on l’a vu, semble être un des facteurs importants favorisant l’égalité dans la rémunération entre les hommes et les femmes. En effet, depuis le tournant des années 1970, le Québec a le meilleur taux de syndicalisation en Amérique du Nord. En 2019, 39,1 % des travailleuses et des travailleurs du Québec étaient syndiqué·e·s, contre 26,3 % des Ontarien·ne·s et 30,2 % des Canadien·ne·s. Quant à la France, le taux de syndicalisation n’atteint pas 11 %. Notons toutefois que dans ce pays, un·e salarié·e peut être couvert·e par une convention collective sans être membre du syndicat.
D’autres facteurs peuvent également expliquer la meilleure performance du Québec dans l’atteinte de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Des politiques publiques structurantes ont été mises en œuvre dans la province qui n’ont pas d’équivalent ailleurs au Canada ou en France, ou qui ont été adoptées très tardivement en comparaison du Québec. On pense notamment à la Loi sur l’équité salariale, adoptée en 1996 au Québec, mais seulement en 2018 au Canada ; mentionnons également la création en 1997 du réseau québécois des centres de la petite enfance (CPE), qui a fait augmenter la participation des mères québécoises au marché du travail et qui a inspiré le gouvernement fédéral dans son budget de 2021, ainsi que l’instauration en 2006 du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), qui est le plus généreux en Amérique du Nord.
Bien que leur taux de syndicalisation et leurs politiques publiques permettent aux Québécoises d’être en meilleure posture que les femmes du reste du Canada en ce qui concerne l’égalité salariale par rapport aux hommes, les progrès demeurent très lents : au rythme actuel, il faudra 50 ans pour que l’écart de rémunération entre les Québécoises et les Québécois disparaisse complètement. Si on souhaite accélérer le pas, plusieurs avenues s’avèrent porteuses, dont celle d’augmenter le taux de syndicalisation des travailleuses et des travailleurs et celle d’élargir l’accès aux services de garde.
Le mythe de « l’égalité-déjà-atteinte » continue d’avoir la vie dure au Québec. Et même si les hommes restent encore aujourd’hui mieux payés que les femmes, ce sont elles qui, par leurs luttes, pourront véritablement faire de ce mythe une réalité.
Ce texte est d'abord paru dans l'édition du 1er décembre 2021 du Journal de Montréal.
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1 comment
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Il y a une proportion plus élevée d’employés syndiqués au Québec qu’ailleurs au Canada.
Or, historiquement, les seuls qui ont réussi à implanter massivement l’équité salariale, ce sont les syndicats.
Par ailleurs, si on compte un taux d’imposition moyen autour de 40% plus une taxe de vente de 15% qui s’applique sur la majorité de ce qu’on achète, le travailleur québécois moyen paye autour de 60% de son revenu en taxes de toutes sortes. S’il fume et consomme de l’alcool et gagne autour de 100,000$ par année, c’est probablement plus de 65%.
Ainsi, c’est plutôt à partir d’environ le 25 août de chaque année que tous les travailleurs peinent pour rien!