Manque à gagner de 6 000 $ par année pour les travailleuses et travailleurs
29 août 2013
On nous dit souvent qu’il faut créer de la richesse avant de la distribuer. Annoncé comme cela, ça semble être une évidence. On peut cependant se demander si la richesse qu’on crée est effectivement distribuée en fin de compte. C’est à cette question que l’IRIS a voulu répondre dans une note publiée dernièrement.
L’IRIS a comparé l’évolution de la productivité du travail (mesurée par le produit intérieur brut –PIB- par heure travaillée) et la rémunération horaire des travailleuses et travailleurs (salaires et avantages sociaux) entre 1981 et 2010 au Québec. Alors que la productivité a augmenté de plus de 30% pendant cette période, la rémunération des salarié.e.s n’a, elle, augmenté que de 15%, soit la moitié moins. En dollars de 2010, si la rémunération horaire des travailleuses et travailleurs avait suivi le rythme de la productivité, elle aurait progressé en moyenne de 22$ à 29$ entre 1981 et 2010, alors qu’elle est seulement passée à 26$. Pour une personne travaillant 40 heures par semaine pendant 50 semaines, l’écart équivaut à 6 000$.
Le fait que la rémunération des salarié.e.s ait progressé plus lentement que la productivité a entrainé que leur part du PIB a diminué de 12% pendant cette période. La part allant aux entreprises a quant à elle augmenté de 16%. On a d’ailleurs vu progresser les inégalités de revenu pendant la même période, comme l’illustre cette recherche que nous avons réalisé en 2010.
La divergence à travers le temps entre productivité et rémunération montre qu’il n’y a pas de lien automatique entre les deux. Si une augmentation de la productivité génère bien davantage de ressources à être partagées au sein de la société, la distribution dépend en bonne partie du pouvoir de négociation de différents acteurs. Depuis 1981, les travailleuses et travailleurs ont vu leur pouvoir de négociation s’éroder graduellement, ce qui explique en partie la diminution de la part du PIB leur revenant. Par exemple, il y a eu des périodes de chômage assez élevé dans les années 1980 et 1990. Qui plus est, pendant les années 1990, le gouvernement libéral a resserré les conditions d’admissibilité du programme et la proportion des chômeuses et chômeurs recevant des prestations est passée de la très vaste majorité à seulement 50%. Ces deux éléments combinés ont pu contribuer à restreindre les demandes salariales d’employé.e.s qui, en cas de perte d’emploi, allaient non seulement avoir peine à se trouver un autre travail et pouvaient ne pas avoir de prestation dans l’intérim. La récente réforme du gouvernement conservateur et celle de l’aide sociale promulguée par le gouvernement provincial ne font rien pour améliorer les choses, surtout dans un contexte de mondialisation où les menaces de délocalisation ont une certaine crédibilité.
Plutôt que de miner la capacité des travailleuses et travailleurs à obtenir leur juste part sous couvert de favoriser le dynamisme de l’économie, les gouvernements devraient plutôt se recentrer sur l’amélioration des conditions de vie des citoyen.nes. Créer de la richesse avant de la distribuer, soit, mais encore faut-il qu’elle le soit, distribuée, et que les différents acteurs en présence aient la possibilité de se négocier une juste part. À cet effet, des politiques favorisant l’accessibilité aux études supérieures, à une éducation de qualité, semblent parfaitement indiquées. Il n’en tient pas qu’aux gouvernements d’intervenir, cependant. Vu le retard accumulé depuis plus de 30 ans, les travailleuses et travailleurs eux-mêmes sont en droit de demander une amélioration importante de leur rémunération.