Syndicalisme | Les syndicats nuisent-ils à la croissance économique ?
11 Décembre 2025
Durant la dernière année, le gouvernement de François Legault a multiplié les mesures contraignantes à l’encontre du syndicalisme au Québec. La proximité de la Coalition Avenir Québec (CAQ) avec le monde des affaires peut expliquer son biais défavorable aux organisations qui défendent l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Il n’en demeure pas moins que plusieurs des politiques antisyndicales – et antidémocratiques – mises de l’avant par le gouvernement sont fondées sur une analyse erronée du rôle des syndicats dans la société québécoise et des conséquences de leur présence. Dans cette série d’articles, l’IRIS déboulonne les mythes sur le syndicalisme et met en relief la grande diversité des enjeux liés à l’action de ces regroupements de salarié·e·s.
Quel est l’impact du syndicalisme sur la croissance économique? Les syndicats ont-ils un effet inhibiteur ou bien contribuent-ils plutôt à l’activité économique ? Dans ce texte, nous nous penchons sur le lien entre le taux de syndicalisation et la croissance du produit intérieur brut (PIB).
Quelques considérations d’abord sur le PIB. Cet indicateur utilisé pour mesurer la valeur des biens et des services produits sur un territoire est rapidement devenu l’indicateur de référence pour l’état de santé de l’ensemble de l’économie. Ainsi, on utilise pour comparer la vigueur de l’économie de différents pays le taux de croissance de leur PIB ou encore la richesse de leur population mesurée à partir du PIB par habitant, ce que l’on appelle aussi « niveau de vie ». En d’autres mots, on fait référence au PIB comme indicateur de bien-être alors qu’il ne nous informe aucunement sur la répartition de la richesse ou sur la qualité de vie qu’il permet d’un point de vue individuel et collectif.
Pourtant, même l’économiste qui a créé cet indicateur en 1934, Simon Kuznets, avait mis en garde contre le fait d’interpréter de manière qualitative le PIB. Et pour cause : toute croissance ne se vaut pas. Il importe de prendre en considération à qui (ou à quel secteur) elle bénéficie, ainsi que le coût induit de cette croissance, que ce soit en termes de ressources à extraire, de déchets générés, de populations exploitées ou d’inégalités creusées. D’autres critiques remettent en question l’obsession de la croissance pour elle-même, rappelant les limites planétaires et le poids insoutenable d’une économie fondée sur la surproduction et la surconsommation. De nombreux indicateurs ont été développés pour essayer de compenser les faiblesses du PIB, mais il demeure difficile à déloger. Par conséquent, étant donné son omniprésence, c’est à cet indicateur que nous allons comparer le taux de syndicalisation.
Étonnamment, peu d’études se sont penchées sur le lien entre syndicalisme et croissance économique. En 2002, deux économistes de la Banque mondiale ont publié une étude sur le sujet. Pour calculer l’effet des syndicats sur la croissance économique, ils ont recensé 17 pays qui ont mis en place une réforme pour améliorer le cadre réglementaire du monde du travail dans les 20 années précédant leur recherche. En comparant la croissance économique avant et après les réformes, ils arrivent à dégager une modeste croissance de la production manufacturière à la suite de mesures favorisant les syndicats et facilitant les négociations collectives. La corrélation est faible alors ce résultat devrait être considéré avec précaution. Chose certaine, les données ne démontrent en aucun cas que la syndicalisation serait une entrave à la bonne marche de l’économie.
En 2013, Magalie Jaoul-Grammare et Isabelle Terraz se sont penchées sur les liens entre croissance et syndicalisation entre 1960 et 2009 dans 11 pays européens. Pour sept de ces pays, elles n’ont trouvé aucune corrélation entre les deux données. Pour trois autres, l’Allemagne, la Suède et la Norvège, la baisse du taux de croissance tend à faire augmenter le taux de syndicalisation. Autrement dit, dans ces pays, quand l’économie va mal, les gens tendent à se syndiquer davantage. Et dans le pays restant, la France, les chercheuses constatent qu’une hausse de la syndicalisation annonce une accélération de la croissance. Elles émettent une série d’hypothèses sur les raisons qui expliquent ces corrélations, mais ce qui est important pour nous ici, c’est que dans aucun cas, la syndicalisation ne cause un ralentissement du PIB.
Des données plus récentes nous permettent d’évaluer le lien entre syndicats et croissance économique. Cette fois, nous partirons des indicateurs publiés par l’OCDE, ce qui nous permet d’inclure dans l’analyse le taux de couverture (le pourcentage de travailleurs et travailleuses qui bénéficient de négociations collectives), le taux de syndicalisation (le pourcentage de travailleurs et travailleuses qui sont membres d’un syndicat) ainsi que la croissance annuelle du PIB. En comparant ces données pour les 38 pays depuis 1997, il est encore une fois impossible de déceler un lien entre les variables. Même en allongeant ou en raccourcissant la période, ou encore en réduisant le nombre de pays, par exemple en excluant les pays qui faisaient partie de l’URSS avant son démantèlement, les constats restent les mêmes : il n’y a aucune corrélation entre l’importance de la présence syndicale dans un pays et sa croissance économique.
Plus près de nous, on peut comparer les provinces canadiennes en fonction de leur taux de syndicalisation et de leur croissance économique grâce aux données de Statistique Canada. Au tableau suivant, nous présentons pour chaque province et pour l’ensemble du Canada le taux de croissance annuel moyen du PIB réel par habitant·e entre 1997 et 2024 ainsi que le taux de syndicalisation pour la même période.
Tout d’abord, on note que les taux de croissance moyens ont été plutôt faibles au Canada pendant la période examinée. Ils se situent même sous 1 % en Ontario et en Alberta. Est-ce que les syndicats ont une responsabilité pour cette contre-performance? Encore une fois, il est difficile de tirer une conclusion claire et nette. Toutefois, les pires performances économiques s’observent au Nouveau-Brunswick, en Ontario et en Alberta, les trois provinces avec les taux de syndicalisation les plus faibles. À l’inverse, la province où le taux de syndicalisation est le plus élevé au Canada, Terre-Neuve-et-Labrador, est aussi celle qui a connu la croissance moyenne la plus forte. Ces données mettent en doute l’effet négatif qu’aurait la présence syndicale sur la croissance du PIB. Même en reprenant l’exercice précédent et en calculant le coefficient de corrélation entre la croissance économique et le taux de syndicalisation entre 1997 et 2024, nous n’observons aucun lien significatif entre les deux indicateurs: on ne peut donc pas dire que le taux de syndicalisation affecte la croissance économique, ni au Canada ni dans les pays de l’OCDE.
Au fond, dans la mesure où les syndicats n’ont pas d’impact négatif sur la productivité, l’absence de lien entre syndicat et croissance n’est pas surprenant.