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Les graphiques (8) – Un graphique exemplaire!

25 février 2013

  • MJ
    Mario Jodoin

Dans le dernier billet de la série que j’ai rédigée sur les graphiques il y a bientôt un an, j’ai conclu en écrivant «il n’est pas dit que je ne reviendrai pas avec d’autres billets sur ce sujet si je trouve des graphiques «intéressants». Ce n’est pas parce que je n’ai pas trouvé de graphiques douteux entre-temps que je n’en ai pas écrit d’autres, mais parce qu’ils n’étaient pas assez intéressants pour justifier un billet. Mais, là, j’en ai trouvé un particulièrement juteux…

Tout un graphique!

Cela me gêne un peu, car ce graphique vient d’une étude récente, fort intéressante au demeurant (en fait remplie de données que je cherchais depuis un bout) de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) sur Le financement des fonds de fonctionnement universitaire au Québec. Bien des graphiques de cette étude laissent à désirer, peut-être parce que ce rapport a été sorti en vitesse pour le sommet sur l’éducation. Mais celui-ci est particulièrement raté, tellement qu’il devient un sujet exemplaire pour montrer ce qu’il ne faut pas faire! Ce graphique se trouve à la page 186 du document. J’ai laissé dans l’image qui suit les données pour qu’on puisse «apprécier» les défauts du graphique (bien que les données ne sont pas bien claires… dans ce cas, allez à la page 186!).

masse salariale des professeurs et effectifs étudiants

Je ne sais vraiment pas ce que les auteurs voulaient montrer avec ce graphique en comparant ces données. Si je me fie au commentaire qui accompagne ce graphique («Lorsqu’on compare la courbe de croissance de la masse salariale des professeurs avec celle de l’effectif étudiant en équivalence au temps plein (EEETP) de l’ensemble des universités, on remarque que, alors que la courbe de l’effectif étudiant croît relativement lentement tout au long de la période, celle de la masse salariale des professeurs connait globalement une progression plus importante entre 1997-98 et 2008-09.»), ils voulaient montrer que la masse salariale des professeurs augmente plus vite que les effectifs étudiants. C’est d’une part étonnant de la part d’une fédération qui représente les professeurs et d’autre part pas si évident que ça comme on le verra plus loin!

Tout d’abord, il est ridicule de présenter sur un même axe deux sujets de nature aussi différente que les effectifs étudiants en équivalence au temps plein (EEETP) et la masse salariale des professeurs. Ensuite, comme je l’avais expliqué dans le deuxième billet de cette série, il faut éviter de présenter des éléments de dimensions différentes sur un même graphique. C’est exactement ce qu’on a fait sur ce graphique! Ce qui mène à des conclusions hâtives, comme de dire que le nombre d’EEETP a beaucoup moins augmenté que la masse salariale des professeurs.

Premier essai

J’ai donc refait ce graphique comme je pense qu’il aurait dû être fait. Dès le départ, j’ai modifié les données sur la masse salariale en les présentant en dollars constants de 2002 plutôt qu’en dollars courants comme dans le graphique précédent. En effet, les EEETP ne subissent pas les effets de l’inflation, mais les salaires, si! Ensuite, j’ai présenté les données sur deux axes différents en indiquant sur des étiquettes ce qu’elles représentent. Notons que j’aurais pu aussi construire ce graphique avec des ratios (en faisant partir les deux courbes à 100), mais cela aurait été moins intéressant à commenter…

EEETP et masse salariale des professeurs

On remarquera que j’ai respecté mes conseils sur les graphiques à deux axes. On peut voir que la proportion entre les valeurs minimales et maximales des deux axes est la même (700000/1000000 = 147000/210000 = 70 %). En plus, les deux courbes se croisent à au moins un endroit du graphique, ce qui permet de voir l’évolution relative des deux variables sans que les différences de niveaux ne viennent nous donner de fausses impressions.

Avec ce graphique, le commentaire du document aurait été drôlement différent! S’il est vrai que la masse salariale des professeurs a augmenté à un rythme un peu plus rapide que les effectifs étudiants, c’est par bien peu et surtout par beaucoup moins que ce que montrait le graphique précédent. Cela dit, ce graphique a encore un grand défaut (et bien des moyens et petits, j’y reviendrai plus loin) qui relève cette fois du choix des données.

Deuxième essai

En fait, l’association que fait la FQPPU entre les effectifs étudiants et la masse salariale des professeurs est inadéquate, et ce, à bien des égards. Le biais le plus évident est que cette association ne tient pas compte des chargés de cours. Or, plus tôt dans le document de la FQPPU, on a montré que le nombre de chargés de cours a augmenté beaucoup plus rapidement que le nombre de professeurs. Il est donc normal de les considérer dans la relation entre la masse salariale du corps enseignant et les effectifs étudiants. C’est ce que j’ai fait avec ce graphique (qui respecte aussi la proportionnalité des échelles et le croisement des courbes), qui change finalement peu de choses.

EEETP et masse salariale des professeurs d'université et des chargés de cours

On pourrait conclure en regardant ce graphique, tout comme le précédent, que les salaires des professeurs et chargés de cours ont augmenté plus vite que les effectifs, quoique beaucoup moins que ne le montrait le graphique d’origine et que l’affirmait le commentaire de l’étude. En fait, ce ne serait pas un scandale que la masse salariale du corps enseignants augmente plus vite que l’inflation.. En effet, comme le PIB par habitant augmente plus que l’inflation, il est normal de répartir cette «richesse» supplémentaire. C’est l’inverse, de ne pas faire augmenter les salaires plus vite que l’inflation, qui est anormal et inéquitable (et ce, pas juste pour les professeurs d’université!). Mais, ce graphique, même si construit dans les règles de l’art, est en fait toujours insatisfaisant…

Le problème…

…est que la relation entre la masse salariale des professeurs, même si on tient compte des chargés de cours, et les effectifs étudiants est loin d’être directe. Tout d’abord, les chargés de cours, même s’ils ont donné entre 35 % et 40 % des cours à chacune des années considérées, n’ont touché qu’entre 11 % et 16 % des salaires (ces données sont tirées de la même étude). Ensuite, le travail des professeurs, contrairement à celui des chargés de cours, n’est pas composé que d’enseignement, mais aussi de recherche et d’encadrement. Puis, la proportion des effectifs étudiants qui se situent aux deuxième et troisième cycles (maîtrise, doctorat, etc.) augmente constamment. Or, le ratio étudiants par professeur est beaucoup moins élevé dans ces cycles qu’au premier et le personnel enseignant de ces cycles est davantage formé de professeurs que de chargés de cours. Cela modifie significativement la relation entre la masse salariale et les effectifs étudiants. En plus, je n’ai pas parlé de la hausse de la proportion d’auxiliaires d’enseignement… ce qui change aussi la donne. Finalement, il y a sûrement d’autres facteurs que je n’ai pas mentionnés qui jouent un rôle dans l’évolution de la masse salariale. Par exemple, il est fort possible que les chargés de cours, et peut-être même les professeurs, aient bénéficié de rattrapages salariaux en raison de l’équité ou de comparaisons avec les salaires payés dans les autres provinces.

Bref, rien n’y fera, aucun graphique ne pourra rendre correctement une relation entre deux variables quand ces deux variables ne sont pas reliées directement et que bien d’autres facteurs influencent leur évolution. En tout cas, on ne peut pas accuser la FQPPU d’avoir voulu nous tromper avec ce graphique, car elle s’est plutôt trompée elle-même!

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